par Franco Chiesa, M. Hartlieb, D. Levasseur et Gheorghe Marin
Résumé. L’influence de la température constitue cependant un défi de taille, même pour des rhéomoulages de très haute intégrité. Le remplissage laminaire du mélange semi-solide ne peut contenir qu’une petite quantité de gaz présente dans le métal, le gaz provenant principalement de la teneur en H dissous de la matière semi-solide et aussi de la décomposition du lubrifiant. Il a été constaté qu’en préchauffant les pièces moulées à une température plus basse que la température de cloquage, par exemple à 490 °C, elles peuvent être « dégazées en phase solide ». Ce qui permet, ensuite, d’augmenter la température de mise en solution à 540 °C, sans produire des cloques. Suite à la trempe et au vieillissement artificiel ultérieur, on obtient des propriétés mécaniques très élevées et des indices de qualité supérieurs. Cet article décrira les expériences menées au CMQ sur des tôles rhéomoulées produites par Comptech AB en Suède avec un alliage A356.
INTRODUCTION
Le comportement d’alliages semi-solides homogènes a été étudié pour la première fois au M.I.T. au début des années 70 [1]. Les propriétés thixotropiques de ces masses à demi fondues ont été mises en évidence, ainsi que la structure globulaire favorable du solide produit, par opposition à la solidification dendritique habituelle. La mise en forme semi-solide des alliages d’aluminium a été industrialisée dans les années 1990, sous le nom de Thixomoulage [2,3]. Les opérations étaient complexes, car les billettes pré-globularisées étaient chauffées par induction, à une température comprise entre liquidus (liquide) et solidus (solide) avant d’être injectées dans le moule. Au fil des années, le Thixomoulage ne s’est pas avéré viable économiquement et a pratiquement disparu. Depuis lors, des technologies beaucoup plus simples ont été développées, où le mélange semi-solide est produit à partir de lingots ordinaires, fondus et globularisés à côté de la machine d’injection à faible coût avec la possibilité de recycler facilement en interne. On parle ici de rhéomoulage [4,5].
Le rhéomoulage est mis en œuvre dans une presse de moulage sous pression standard à une vitesse d’injection typiquement 10 fois moindre qu’en moulage sous pression (où l’alliage est 100 % liquide). Cependant, la décomposition du lubrifiant lors de l’injection produit des gaz qui entraînent la formation de micropores dans lesquels ces gaz sont emprisonnés sous très haute pression. Lors de la mise en solution, première étape du traitement thermique T6, ces micropores peuvent produire des cloques si l’alliage chaud ne peut pas contenir la pression du gaz piégé. C’est pourquoi le traitement thermique de mise en solution en est généralement effectué à 510 °C, plutôt qu’à la température optimale standard de 540°C utilisée pour les pièces Al-Si-Mg moulées en moule sable ou en moule permanent.
PROCEDURE EXPÉRIMENTALE
Pour nos expériences, des échantillons de traction ont été découpés dans des tôles produites à Comptech AB (Suède). Les tôles ont été produites selon le procédé Comptech Rheocasting (basé sur le procédé RheoMetalTM). Le procédé permet de préparer des mélanges semi-solides avec une fraction solide élevée allant jusqu’à 45 %, essentiel pour produire des pièces de haute intégrité. Un schéma du processus est présenté en figure 1. Le processus consiste à produire d’abord un matériau échangeur d’enthalpie (EEM) sur une tige dans un petit moule permanent en utilisant le même alliage, qui sera coulé dans la machine sous pression. Plusieurs moules permanents sont placés dans un carrousel pour permettre à l’EEM de refroidir sans influencer la durée totale du cycle. Simultanément, une poche en céramique apporte la quantité requise de métal liquide (soit le poids de la pièce moins le poids de l’EEM). L’EEM est ensuite plongé dans le métal liquide de la poche et il est dissous pour produire une suspension semi-solide de fraction solide souhaitée. Au cours du processus de solidification du semi-solide, un mélange homogène de grains globulaires (non dendritiques) se forme. Le processus prend généralement 20 secondes et la suspension peut rester sous forme semi-solide pendant 90 secondes, ce qui permet une large fenêtre de fonctionnement. Le mélange semi-solide est ensuite versé dans le conteneur de la machine d’injection, jusqu’à une fraction solide maximale de 45 %. Le processus global de fabrication du semi-solide permet un temps de cycle très court, toujours inférieur au temps de cycle de la machine de moulage sous pression.
Figure 1 – Schéma de la fabrication du mélange semi-solide selon le procédé RheoMetalTM. Source: Comptech.
PROPRIÉTÉS TYPIQUES DU A356-T6 AVEC MISE EN SOLUTION À 510°C
Des tests complets ont été faits avec des échantillons de traction rhéomoulés Comptech à l’état T6 dans un alliage A356, avec une température de mise en solution de 510 °C pour éviter toute formation de cloques. Généralement, les propriétés à l’état F (brut de coulée) sont de 100 à 140 MPa pour la limite élastique YS, de 200 à 250 MPa pour la résistance en traction UTS et de 8 à 13 % pour l’allongement El. Avec un traitement thermique de mise en solution à 510 °C pendant 2 heures suivi d’une trempe à l’eau (État T4) ces propriétés peuvent être modifiées à 120-140MPa pour YS, 230-250MPa pour UTS et plus de 15 % pour El. Si après ce traitement thermique et une période de repos d’au moins 12 heures à température ambiante (vieillissement naturel) les pièces sont vieillies artificiellement à 165, 190 ou 210°C, on obtient les propriétés mécaniques du tableau 1 :
Tableau 1 – Propriétés d’un alliage A356 rhéomoulé traité T6, mis en solution 2h à 510°C, vieilli naturellement 12 h ou plus, pour les températures et temps (time) de vieillissement (aging) indiqués
LA PROCEDURE DE TRAITEMENT THERMIQUE
LE PRETRAITEMENT DE « DÉGAZAGE EN PHASE SOLIDE », LA MISE EN SOLUTION ET LA TREMPE.
Pour qu’une pièce moulée en A356 soit portée à sa température de mise en solution optimale de 540 °C sans produire de cloques, il faut que la pression du gaz emprisonné dans les micropores soit relâchée au préalable. Ceci peut être réalisé en portant la pièce à une température suffisamment élevée pour que le gaz sous pression diffuse hors de l’aluminium solide chaud. Pour une température donnée, il faudra un temps donné pour ramener la pression jusqu’à un point où aucune cloque ne se formera lorsque la pièce sera portée à 540 °C.
Afin d’évaluer ce temps de « dégazage en phase solide », 4 séries de 8 éprouvettes de traction découpés dans une tôle de 3mm rhéomoulée en A356 ont été prétraitées pendant 0, 1, 2 et 4 heures à 490 °C. On les a ensuite portées à 540°C pendant 2 heures et trempées à l’eau. Au cours de cette période de 2 heures, la température de mise en solution suffit généralement pour les pièces rhéomoulées et on produit une structure plus fine que les pièces moulées en coquille ou en moule sable. La composition des échantillons de traction en A356 est donnée dans le tableau 2.
Tableau 2 – Composition de l’alliage A356 des éprouvettes de traction
Élément |
Si |
Fe | Cu | Mn | Mg | Zn | Ti | Sr |
B |
% Masse |
7.6 | 0.23 | 0.0002 | 0.21 | 0.35 | 0.003 | 0.14 | 0.0003 |
0.0000 |
Les échantillons de traction de 3 mm x 13 mm dans leur section réduite, ont été observés pour détecter de cloques. L’apparence typique pour chaque temps de prétraitement à 490 °C est présentée en figure 2.
Les échantillons qui n’ont pas été dégazés en phase solide (0 h) présentent de grosses cloques dans les sections d’aggripage et des trainées de cloques minuscules le long des deux bords de la section réduite. Les cloques sont beaucoup moins nombreuses et plus petite taille après une heure de dégazage en phase solide. Elles sont encore réduites, lorsque le temps de dégazage est augmenté et de rares microcloques subsistent dans les échantillons dégazés pendant 4 heures. Elles sont plus petites que les particules de grenaillage de grade 80.
Figure 2 – Échantillons mis en solution 2 h à 540 °C et trempés après un pré-traitement de 0, 1, 2 et 4 h à 490 °C
À des fins de comparaison, un ensemble de 8 échantillons de traction a été mis en solution pendant 2 heures à 510 °C et ont été trempés à l’eau, ce qu’on appelle le traitement thermique de mise en solution actuellement utilisé pour garantir des pièces sans cloques.
LE TRAITEMENT DE DURCISSEMENT FINAL (DURCISSEMENT STRUCTURAL OU PAR PRÉCIPITATION)
Après avoir attendu au moins 12 heures, pour laisser se dérouler le vieillissement naturel. Tous les échantillons ont été vieillis pendant 2 heures à 190°C, car ces conditions donnaient d’excellentes propriétés dans les pièces de production de « Comptech Rheocastings » (à une température de mise en solution de 510 °C).
ESSAIS DE TRACTION DES ÉCHANTILLONS TRAITÉS THERMIQUEMENT
Les essais ont permis de déterminer la limite élastique YS, la résistance en traction UTS, et l’allongement à la rupture El. Les résultats sont présentés dans le tableau 3 où l’écart type est indiqué entre parenthèses, en pourcentage de la valeur moyenne. L’Indice de Qualité Q = UTS + 150 Log El est également indiqué. Il est reconnu indépendant du traitement de vieillissement appliqué [6] et l’indice Q évalue la qualité métallurgique indépendamment du traitement de vieillissement (dur ou mou) appliqué.
On constate qu’outre la réduction du phénomène de cloquage, un traitement de dégazage de 2 ou 4 heures entraîne une moindre dispersion des propriétés en traction, ainsi qu’une augmentation notable de la limite élastique et de l’allongement.
Les échantillons sans cloques mis en solution à 510 °C présentent une limite d’élasticité et un allongement moindre que ceux des échantillons mis en solution à 540 °C préalablement dégazés en phase solide pendant au moins 2 heures à 490 °C.
Tableau 3 – Résultats des essais de traction pour les divers traitements thermiques appliqués (Moyenne de 8 tests)
Temps à 490°C, h |
0 |
0 | 1 | 2 |
4 |
|
Temp. de mise en solution, °C |
510 | 540 | 540 | 540 |
540 |
|
Présence de cloques |
aucune | beaucoup | un peu | microcloques |
microcloques |
|
YS, MPa (Std%) |
239 (1.7%) | 246 (1.6%) | 231 (3.0%) | 260 (1.9%) |
256 (2.7%) |
|
UTS, MPa (Std%) |
292 (1.7%) | 301 (4.0%) | 304 (3.6%) | 315 (1.3%) |
313 (1.3%) |
|
El, % |
7.4 (20%) | 7.7 (47%) | 7.0 (43%) | 9.7 (25%) |
8.8 (20%) |
|
Q, MPa |
422 | 434 | 431 | 463 |
455 |
ANALYSE METALLOGRAPHIQUE
Une mosaïque d’une coupe de l’extrémité d’agrippage d’un échantillon cloqué (0 heure de dégazage en phase solide) est présentée en haut de la figure 3, ainsi que la mosaïque équivalente dans un échantillon dégazé pendant 4 heures à 490 °C ; ces mosaïques mesurent 19 mm x 3 mm et contiennent des micropores dont la taille varie de 10 à 200 µm. Il est raisonnable de penser que les pores plus gros sont le résultat d’une mise en solution sans dégazage préalable.
Figure 3 – Mosaïques de coupes dans la zone d’agrippage d’échantillons dégazés 0h (haut) et 4h (bas)
Un gros plan d’une extrémité de chaque mosaïque de la figure 3 est présenté en figure 4. La structure globulaire observée est typique des pièces rhéomoulées. La plupart des micropores de l’échantillon dégazé mesurent 30 µm, avec quelques pores plus gros ne dépassant pas 100 µm. On peut supposer que la taille de ces pores n’a pas été affectée par le traitement de mise en solution. Au contraire, on observe des pores jusqu’à 250 µm dans l’échantillon non dégazé en phase solide. Ils ont été gonflés par l’expansion du gaz lors du traitement de mise en solution à 540 °C. Un renflement à la surface a été causé par l’expansion du pore marqué B, tandis que des microcloques ont été produites par expansion des pores marqués b1 et b2.
Figure 4 – Gros plans des mosaïques de la Figure 3 dégazés 4 h (gauche) and 0 h (droite)
CONCLUSIONS
Les pièces rhéomoulées sont de plus en plus utilisées dans de nombreuses applications, comme les boitiers à ailettes refroidissantes pour les télécommunications, les dissipateurs thermiques, les composants étanches à haute pression, etc., jusqu’aux pièces moulées structurelles. Ces pièces moulées structurelles utilisent le procédé de rhéomoulage en raison de ses avantages tels que la réduction de moitié du temps de solidification, une intégrité extrêmement élevée (même dans les sections épaisses). À pièce égale, une moindre taille de la machine sous pression, une durée de vie prolongée du moule et la possibilité de traiter ces pièces en T6 complet. Comme le démontrent les présentes expériences, il est possible d’effectuer un traitement thermique de « dégazage en phase solide » à une température inférieure à la température de cloquage pendant une courte période (par exemple 2 à 4 heures à 490 °C), avant d’atteindre la température de mise en solution optimale. Cela permet d’augmenter la température de mise en solution à 540 °C sans risque de cloques. Cette température de solution accrue permet d’atteindre des propriétés mécaniques 10 % plus élevées (mesurées avec l’indice de qualité) qu’avec un T6 à 510 °C. Cela offrira également la possibilité de produire les moulages structurels présentement coulés en moule permanent parce que, contrairement au moulage sous pression, le rhéomoulage permet de produire des parois épaisses; on peut également produire des sections creuses en introduisant des noyaux, chose impossible en moulage sous pression.
REMERCIEMENTS
Les auteurs reconnaissent le soutien financier partiel de cette recherche par le Conseil de recherches en sciences naturelles et en génie du Canada (CRSNG). Les contributions et l’assistance de Dynatool Industries Inc. (Montréal, Qc, Canada) et de Comptech AB (Suède) ont été très appréciées.
Cet article a été publié à l’origine dans le cadre du congrès 2022 de la North American Die Casting Association. Cette publication ne doit pas être reproduite ou redistribuée sans le consentement de la North American Die Casting Association.
____________________
RÉFÉRENCES
[1] Spencer, D. B., Mehrabian, R., Flemings, M.C.: “Rheological Behavior of Sn-15%Pb in the Crystallisation Range”, Metallurgical Trans., Vol. 3 1925-1932 (1972)
[2] Gabathuler, J.P., Ditzler, C., “Quality and Properties of Thixoformed Suspension Components for the Automotive Industry”, Proceedings of the 4th International Conference on Semi-solid Processing of Alloys and Composites, Sheffield (UK), 331-336 (1996)
[3] Garat, M., Blais, S., Pluchon, C., Loue, W.R., “Aluminium Semi-solid Processing: From the Billet to the Finished Part”, Proceedings of the 5th International Conference on Semi-solid Processing of Alloys and Composites, Colorado School of Mines 199-213 (1998)
[4] Langlais, J., Lemieux, A., Kunlunk, B., “Impact of the SEED Processing Parameters on the Microstructure and the Resulting Mechanical Properties of A356 Alloy Castings”, AFS Transactions, Vol.114, 289-298 (2006)
[5] Anders, E.W. Jarfors, https://www.researchgate.net/publication/346206147_A_Comparison_Between_Semisolid_Casting_Methods_for_Aluminium_Alloys
[6] Jacob, S, “Quality Index in the Prediction of Properties of Aluminum Castings – A review”, AFS Transactions, Vol. 108, 811-814 (2000)