par Céline Normandin
Le gouvernement fédéral vient d’imposer depuis le 15 octobre des droits de douanes de 25 % sur l’aluminium provenant de la Chine, un geste qui imite celui de ses partenaires commerciaux.
Le 26 août dernier, Ottawa faisait part de son intention de mettre en place, le 22 octobre, une surtaxe de 25 % sur les importations de produits d’acier et d’aluminium en provenance de la Chine. « L’objectif visé est de protéger la main-d’œuvre et les investissements du Canada dans ces secteurs contre les politiques commerciales déloyales de la Chine. On cherche également à empêcher le détournement des échanges découlant des récentes mesures prises par les partenaires commerciaux du Canada ».
Une nouvelle réalité commerciale
La mesure a été saluée par plusieurs intervenants en raison de l’évolution du marché de l’aluminium. Depuis la fin des années 90, ce marché a radicalement changé avec la venue d’un nouveau joueur, la Chine. De minime, la production venant du pays d’Asie a bondi pour représenter 57 % de la production mondiale. Le Canada se situe au 5e rang mondial avec 5 % de la production mondiale, derrière le Moyen-Orient (10 %), l’Inde (6 %) et la Russie (6 %).
La production chinoise est décriée depuis longtemps par les autres pays producteurs. Cet aluminium vendu à un prix sous le prix courant du marché est traité d’anticoncurrentiel. Les entreprises chinoises sont en effet en partie détenue par l’État et n’ont pas à souscrire à un impératif de rentabilité. En cas de pertes, elles sont essuyées par les autorités. Cet aluminium vendu ensuite à bas prix inonde le marché afin d’éliminer la concurrence, une technique mieux connue sous le terme anglais de dumping.
Le secteur de l’industrie automobile chinoise est soupçonné d’utiliser les mêmes pratiques, ce qui permet d’offrir un prix de vente de 10 000 $ pour une voiture électrique. La liste définitive des produits assujettis aux surtaxes a été annoncée et entrera en vigueur à compter du 22 octobre prochain. Le gouvernement se réserve la possibilité de revoir la liste au cours de la prochaine année au terme de laquelle la période pourrait être prolongée, en plus d’inclure d’autres mesures.
Pékin a réfuté les allégations de pratiques déloyales et a exprimé « son vif mécontentement et sa ferme opposition à cette mesure », vue comme étant une forme de protectionnisme et contraire aux règles de l’Organisation mondiale du commerce. La Chine attribue plutôt le faible coût du matériau « à l’innovation technologique continue, à un système de chaîne d’approvisionnement solide et à une concurrence suffisante sur le marché ».
Une filière stratégique et des partenaires économiques importants
L’Association de l’aluminium du Canada (AAC), formée par Rio Tinto, Alcoa Canada et l’Aluminerie Alouette, réclamait de longue date une intervention du gouvernement canadien dans ce dossier. En plus de contrer une concurrence déloyale, elle devenait essentielle en regard aux stratégies communes prises avec ses partenaires commerciaux que sont les États-Unis et le Mexique, concernant la filière des véhicules électriques. La pression était forte à Ottawa de s’aligner sur les pays membres de l’ACEUM qui avaient déjà adoptés des tarifs de 25 % sur l’aluminium et l’acier provenant de la Chine. Le geste devenait d’autant plus pressant qu’un renouvellement de l’accord est prévu en 2026.

Jean Simard, Président et chef de la direction de l’Association de l’aluminium du Canada (AAC).
Jean Simard, président et chef de la direction de l’AAC, est satisfait de voir cette brèche se refermer. Le marché canadien représentait le denier marché en Amérique du Nord à autoriser les importations chinoises, ce qui causait un écart important. Il ne s’agit pas d’un enjeu local mais continental. La mesure vient, dit-il, protéger les entreprises et les emplois partout au Canada.
« La seule façon de protéger le marché canadien devant une situation comme celle-là est d’appliquer les mêmes tarifs sur les mêmes produits que nos partenaire mexicains et américains ».
La demande d’aluminium devrait croitre de 19 % entre 2023 et 2050 et fait partie intégrante de la stratégie de décarbonation et de la transition énergétique. Le matériau se retrouve dans plusieurs secteurs clefs, comme le transport qui occupe le premier rang de la demande à 24 %, suivi de la construction (22 %), du secteur électrique (14 %), et du secteur machinerie et équipement (11 %). « On s’attend à une demande très forte dans les 25 prochaines années et qui va dépasser la production des 150 dernières années. Il y aura une croissance phénoménale », avance M. Simard.
Quant à la possibilité que les entreprises chinoises établies au Mexique utilisent la fabrication en sol nord-américain pour contourner la mesure, Jean Simard balaie la question du revers de la main. « Les États-Unis vont surveiller ça de près et les entreprises mexicaines vont s’assurer de respecter les exigences ».
Des risques d’inflation pour les entreprises
L’imposition des tarifs sur les véhicules électriques a connu son lot de critiques. Des analystes ont fait remarquer que ce sont les consommateurs qui auront à supporter le poids des tarifs sur les biens transformés. AluQuébec, qui représente la Grappe industrielle de l’aluminium, s’est dite d’accord avec la surtaxe, mais reconnait qu’elle aura des impacts sur de nombreuses entreprises de transformation qui utilisent l’aluminium chinois pour des raisons d’approvisionnement ou de compétitivité.
Le Québec compte de la production primaire et des équipementiers, en plus de 1734 entreprises de 1ère, 2e et 3e transformation. Certaines pourraient ne pas avoir d’alternative ou auront besoin d’une période de transition, indique AluQuébec.
L’organisation encourageait les entreprises concernées à informer le gouvernement canadien en indiquant de quelle manière elles sont affectées. Le gouvernement canadien a prévu un programme de rémissions au cas par cas.
Des enjeux locaux à relever
Même avec la question de la concurrence chinoise réglée, l’industrie aura à relever d’autres défis. L’AAC a présenté récemment son mémoire concernant le projet provincial de loi 69. Ce dernier vise à « assurer une gouvernance responsable des ressources énergétiques », et à « soutenir, stimuler et promouvoir la production d’énergie ainsi que le développement de nouvelles filières énergétiques ».
L’industrie de l’aluminium émet de sérieuses préoccupations quant aux orientations mises de l’avant pour les futures révisions tarifaires, notamment en ce qui concerne les impacts associés à l’indexation à l’inflation du bloc patrimonial, et les coûts anticipés associés aux nouveaux approvisionnements.
« La protection de la compétitivité est critique pour demeurer sur l’échiquier mondial de la production primaire. La priorité de l’industrie de l’aluminium est de conserver un environnement tarifaire permettant de maintenir une position concurrentielle au sein du parc de production mondial », indique Jean Simard.
Les dernières semaines ont également vu le lancement de la campagne de communication « Décarboner l’Amérique du Nord, ç’a ben de l’alu ». Cette dernière veut mettre en lumière l’importance de l’industrie de l’aluminium au Québec et son soutien aux efforts des gouvernements envers la décarbonation et la transition énergétique. L’objectif de la campagne va cependant plus loin et concerne les enjeux de main-d’œuvre.
« On veut faire comprendre aux jeunes que l’aluminium représente des métiers d’avenir. On veut les sensibiliser aux enjeux de l’utilisation des ressources et au fait qu’on doit agir maintenant », souligne M. Simard.
D’autres menaces à l’horizon
Le secteur de l’aluminium canadien reste vulnérable à certains éléments, dont l’incertitude politique en provenance des États-Unis. Par deux fois dans la dernière décennie, nos voisins ont instauré une taxe de 10 % sur l’aluminium canadien, soit le 1er juin 2018 et le 6 août 2020. Le protectionnisme américain pourrait revenir hanter les fabricants et manufacturiers canadiens puisque le candidat républicain à la Maison Blanche, Donald Trump, ne cache pas ses intentions d’avoir recours de nouveau à des tarifs. Dans ce genre de situation, le Québec est nettement exposé puisque 8 des 9 alumineries du Canada se situent dans la province, soit 87,5 % de l’aluminium produit au pays et dont 90 % est vendu aux États-Unis.
M. Simard reconnait que la dynamique avec notre plus important partenaire commercial a évolué. « Les relations se sont transformées avec les États-Unis dans les 20 dernières années. Ils sont devenus beaucoup plus protectionnistes ». Le marché global a cédé le pas à un repli sur soi, ajoute le président de l’AAC, mais le Canada devra s’adapter. « Quelle que soit l’administration en place, on doit s’inscrire dans le courant, heureusement nous avons déjà joué dans ce film-là !».