par Céline Normandin
Des étudiants relèvent les défis d’innovations en architecture en se réappropriant les outils technologiques, tout en s’inspirant de la nature et d’une approche low-tech.
Des étudiants de second cycle à l’École d’architecture de l’Université de Montréal ont la chance depuis 2020 d’expérimenter l’univers numérique pour y trouver des réponses aux défis de l’architecture d’aujourd’hui, avec toutes les embûches environnementales, financières et temporelle que cela représente.
Ces travaux sont supervisés par le Laboratoire en architecture, informatique et robotique (LAIR), une unité de recherche de l’École d’architecture et de la Faculté de l’aménagement de l’Université de Montréal. Les travaux en laboratoire permettent de tester à grande échelle la recherche en améliorant les processus de création et de production de la forme architecturale par le biais de l’informatique et de la fabrication robotique.
Un laboratoire d’architecture
Le but du directeur du LAIR, Andrei Nejur, qui est aussi professeur et chercheur, est en fait assez simple : faire en sorte que les architectes reprennent le contrôle des outils de leur travail pour exploiter leur créativité et dépasser les limites de l’architecture, telle qu’on la connait.
« Pour maitriser la complexité de l’architecture, les étudiants doivent utiliser la capacité des ordinateurs comme une extension du cerveau pour produire une architecture de qualité dans tous les détails. C’est un défi de conceptualiser l’architecture mais c’est un défi beaucoup plus problématique de l’amener dans le monde réel ».
L’approche combine à la fois enseignement et recherche, ainsi qu’une collaboration des étudiants des 2e et 3e cycles. « La production de l’atelier n’est pas le prototype obtenu au final, mais les outils que les étudiants produisent pour la production du prototype ».
Les étudiants utilisent des outils paramétriques, des formules mathématiques et le codage informatique pour maitriser toute la mise en œuvre du processus, ce qui leur permet de produire n’importe quelle forme par le même type de fabrication numérique.
Une infinité de formes peuvent ainsi être produites par ce procédé de fabrication. L’approche vise à aider l’industrie de la construction à produire avec moins de ressources et utiliser des matériaux qui ne sont pas pensés comme des matériaux structuraux, comme par exemple la tôle mince d’aluminium.
Des premières mondiales à partir d’aluminium
La coquille, qui contient plus de 1500 pièces en aluminium, est une double membrane d’une superficie de 25 m2 en feuilles d’aluminium, d’un poids total de 100 kilos, réalisée à partir d’un budget de seulement 10000$. Elle a été produite avec une méthode innovante de construction pour les surfaces architecturales qui sont courbées et de grande portée.
La coquille du projet Cnidaria comprend dans son assise une douzaine de chaises à la géométrie personnalisée produites, par deux technologies différentes. Le système de support est un réseau structurel optimisé de tiges d’acier reliées par des nœuds produits par impression 3D. L’interface des sièges est une série de coussins en mousse à double courbure produits par fraisage robotisé. La géométrie des coussins est optimisée pour acquérir différentes poses du corps humain.
Le design est quant à lui inspiré des anémones de mer et des coquilles acoustiques concentrant le son. Il provient d’une simulation de membranes de bulles de savon qui optimisent l’utilisation des matériaux en répartissant uniformément les contraintes structurelles sur la surface.
L’intérêt de s’inspirer de la nature est qu’on y retrouve toutes sortes de formes, mais aussi des preuves de sa résilience parce qu’elle a su évoluer à travers le temps. « La nature ne change jamais de matériel, elle change de forme, ce qui est beaucoup plus facile! », fait remarquer M.Nejur.
La légèreté de la structure a permis un assemblage plus facile qui a été complété dans sa phase finale en deux heures dans l’enceinte de l’École d’architecture de l’Université de Montréal.
Pour le chercheur, le défi ne consiste pas dans la découverte de matériaux innovants, mais dans une géométrie innovante. La géométrie est toutefois synonyme de complexité avec des quantités énormes de données à considérer. Il faut une capacité accrue pour tout analyser, ce que les logiciels permettent, puisqu’il faut garder en tête un des objectifs d’une architecture réussie. « Le but est de livrer dans les délais prévus et selon le budget ».
En tenant compte tous les critères du LAIR, l’utilisation de l’aluminium devient logique. Tous les projets du laboratoire ont d’ailleurs inclus le matériau. « Il a une capacité impressionnante, une malléabilité et une résistance à la corrosion. Dans ce cas-ci, l’aluminium très mince est habituellement utilisé pour les façades et des éléments esthétiques qui enrobe les structures mais il a été utilisé ici par l’entremise de la géométrie qui l’a transformé en matériau structurel ».
Se réapproprier la capacité d’innover en architecture
Dans le cadre de leur atelier, les étudiants de M.Nejur doivent gérer toute la complexité du projet, avec tous les défis que cela représente.
Le chercheur a d’ailleurs été recruté par l’Université de Montréal pour l’expertise qu’il a développé dans la conception numérique, la fabrication avancée et la recherche de formes structurelles. Il est également un développeur reconnu d’outils logiciels d’architecture.
À la base, un architecte n’est pas un informaticien. C’est plutôt un créateur qui a la capacité d’imaginer des formes, ce qui fait que dans son parcours professionnel, il frappe des murs puisqu’il utilise des logiciels déjà formatés, explique le chercheur. « Ce qu’on donne aux étudiants, c’est la possibilité de coder la géométrie de façon innovante pour surmonter les défis de l’architecture aujourd’hui. Mon credo est que l’architecture ne peut pas être innovante sans inclure toutes les capacités du codage. L’architecte doit penser à l’intérieur d’algorithmes et utiliser toutes les capacités de la machine au service de l’architecture ».
Il faut comprimer également les phases de production, ce qui fait que les architectes se réapproprient toutes les étapes de la conception, de son élaboration à sa construction.
Cette démarche permet de voir rapidement les résultats dans le réel, ce qui est rare au Canada français mais aussi au Canada anglais. « On peut approfondir des créneaux et développer la capacité d’innover, ce qui n’est pas fréquents dans les écoles d’architecture ». Comme chercheur, M.Nejur ajoute qu’il apprend autant des travaux des étudiants que l’inverse.
Utiliser les contraintes à son avantage
Le défi que les équipes d’étudiants ont à relever est vraiment difficile, indique le chercheur. Elles peuvent compter sur des collaborations ponctuelles, avec AluQuébec – Grappe industrielle de l’aluminium du Québec et les grandes entreprises qui aident à financer le projet, mais le reste du projet leur appartient. « Tout se joue ensuite dans l’atelier ».
La structure construite par les étudiants en maîtrise sert également d’écran de projection pour l’art numérique, soulignant sa fonction double comme lieu d’arts électroniques. Des plaques de couleurs ont été ajoutées pour enjoliver l’ensemble et mettre de l’avant son aspect esthétique.
De plus, aucun travailleur spécialisé n’est engagé pour réaliser les travaux, qui vont de la conception au montage. Les contraintes en place obligent les gens à construire à partir de ces paramètres et à s’adapter pour trouver des solutions.
Depuis, le projet architectural Cnidaria a été démonté, mais un site pourrait un jour permettre d’établir de manière le projet innovant de manière permanente, espère M.Nejur.