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par Céline Normandin

Le renouvellement du réseau d’électricité au Québec pourrait être une occasion en or pour mettre en valeur l’aluminium dans les structures.

L’électrification des transports est un sujet incontournable ces temps-ci, mais un transport plus écologique passe également par des structures qui le sont également. Bien que le réseau d’électricité ait été bien entretenu par Hydro-Québec, il commence à accuser son âge. Certains pylônes ont été construits et installés depuis soixante ans et si le changement des centaines de kilomètres des structures n’est pas pour demain, le défi se posera bientôt.

La mise à niveau des infrastructures pose la question à savoir si un matériau plus vert serait la solution d’avenir et dans ce cas, si l’aluminium serait la réponse.

Le professeur Sébastien Langlois, chercheur principal et professeur à la Faculté de génie de l’Université de Sherbrooke. Crédit photo : Michel Caron – UdeS

Une équipe dirigée par Sébastien Langlois se penche sur la question depuis un moment. Le chercheur de l’Université de Sherbrooke a obtenu à l’automne 2021 une subvention de 1,16 millions de dollars de la part d’un regroupement comprenant le programme Alliance du Conseil de recherches en sciences naturelles et en génie du Canada, le gouvernement du Québec (InnovÉÉ – Innovation en énergie électrique), Hydro-Québec et Rio Tinto Alcan et CEIAL (Centre d’expertise et d’innovation) d’AluQuébec. La somme doit servir à  développer de nouvelles méthodes numériques pour mieux dimensionner, évaluer et prévoir le comportement structural des lignes de transport d’énergie, en plus de développer un nouveau concept de pylône en aluminium.

Des avantages à exploiter

L’idée d’utiliser l’aluminium pour les pylônes n’est pas nouvelle, rappelle M.Langlois. « Il existe des endroits dans le monde où l’aluminium a été utilisé, mais l’idée n’a pas été retenue parce que ce n’était pas alors économiquement viable, comparativement à l’acier. » Quelques lignes au Québec sont ainsi équipées mais la quasi-totalité de l’infrastructure dans la province, tout comme ailleurs dans le monde, est construite en acier ou en bois.

Il n’est pas question d’ailleurs de remplacer tous les pylônes en acier par d’autres en aluminium, précise le chercheur. Certaines lignes de haut voltage, comme les 735 kilowatts, conserveront une structure en acier.

De nouveaux concepts de pylônes en aluminium pourraient être la clef à la construction de nouvelles lignes fiables et à faibles coûts. Crédit photo : Université de Sherbrooke

Dans d’autres cas, l’aluminium devient une alternative intéressante pour plusieurs raisons, explique M.Langlois. Bien sûr, le matériau a une empreinte environnementale moindre puisqu’il est recyclable, un fait accentué s’il est produit avec des énergies renouvelables. L’aluminium devient également une option intéressante dans le cas du remplacement des pylônes en bois, parce que ces derniers se détériorent plus vite et que les poteaux de bonnes dimensions sont plus difficiles à trouver. L’entretien est également plus facile, comparativement au bois et l’acier, puisque l’aluminium ne se corrode pas. Il est également plus léger, ce qui en fait une option intéressante dans les endroits difficile d’accès en réduisant les dépenses associées à la machinerie. « Dans certaines circonstances, l’aluminium pourrait se distinguer dans son utilisation, par exemple près des centres urbains ou encore en région. Il y a plusieurs scénarios possibles où l’aluminium pourrait devenir un des matériaux usuels pour la construction ou le remplacement de pylônes. »

À cela s’ajoute le fait qu’il est plus facilement extrudable, qu’il peut prendre plus de formes et se mouler à plus de concepts, énumère M.Langlois.

Des nouvelles formes

L’application et la mise à l’épreuve de nouvelles formes sont au cœur des recherches utilisant l’aluminium comme matériau. Crédit photo : Université de Sherbrooke

Un des objectifs de la subvention est justement d’analyser les formes des sections des pylônes pour en trouver de plus performantes. La géométrie d’ensemble des structures ne serait pas nécessairement revue, puisqu’elle est définie par sa fonction et dans ce cas, par le fait qu’il s’agisse d’une ligne de transport. Il faut garder par exemple une distance entre les lignes de transport d’électricité et le sol. « Ce n’est pas vraiment la structure qu’on étudie, ce sont davantage les formes des sections, des cornières en « L » qui ne sont pas actuellement très performantes. On regarde des sections fermées, carrées ou octogonales, pour trouver de nouvelles manières de connecter ensemble les sections. Mais oui, il se peut que la géométrie d’ensemble change un peu. »

L’équipe de chercheurs a déjà réalisé les études de conception et se concentre maintenant sur la validation du concept avec des essais expérimentaux et des modèles numériques avancés. L’étude de conception montre que la masse totale du pylône en aluminium pourrait être réduite d’environ 50 % par rapport à un pylône équivalent en acier.

Le développement d’un nouveau concept de pylônes en aluminium a un budget de 475 000 $ sur trois ans. Crédit photo : Université de Sherbrooke

L’équipe veut également évaluer les différents types de pylônes sous divers aspects, tels que la production, l’entretien et la fin de vie, afin de déterminer les coûts d’ensemble respectifs et leurs impacts environnementaux sur l’ensemble de leur cycle de vie.

Dans le cas d’un changement aussi fondamental, il se pourrait que ce dernier doive faire face à une certaine résistance, mais tout est une question de conception, souligne M.Langlois. Il faut trouver la meilleure conception mécanique en aluminium et construire la structure en conséquence, selon des normes déjà en vigueur et éprouvées. Le chercheur fait valoir que de nombreuses structures, comme les ponts, les supports d’affichage routiers et les antennes de télécommunications, utilisent  des alliages reconnus d’aluminium. « Il n’est pas question de réinventer cet aspect », précise-t-il.

Interrogé à savoir si le produit des recherches pourrait devenir exportable, le chercheur répond par l’affirmative. « Il se pourrait que cela soit avantageux pour les pays producteurs d’énergie propre ». Des pays se sont montrés intéressés à discuter. C’est le cas de la Norvège qui mène un projet pilote avec des structures en aluminium.

Mettre les concepts à l’épreuve

Les prochains mois à Sherbrooke seront utilisés à amener des preuves de concept et d’utilisation pour le type de produit. L’équipe a reçu des extrusions qu’elle fera tester dans  ses locaux. D’une hauteur de trois mètres de haut, les structures subiront des tests destructifs. Il faudra ensuite vérifier les calculs et valider les équations de conception ainsi que les modèles numériques les plus avancés. «  Dans le cas d’une preuve de concept concluante, on souhaite pouvoir concevoir un pylône ou une section de ligne complète et poursuivre la recherche.» Dans cette dernière étape, Hydro-Québec et Rio Tinto, qui possède aussi son propre réseau électrique, apporteront leur soutien avec un projet pilote qui pourrait se faire dans deux ou cinq ans, conclut M.Langlois.

Une équipe nombreuse de l’Université de Sherbrooke est impliquée dans le projet : Charles-Philippe Lamarche (charpentes métalliques), Alain Desrochers (conception de produits en aluminium), Mourad Ben Amor (analyse de cycle de vie), en plus de collaborateurs de l’UQAC et de six étudiants à la maîtrise, au doctorat et au postdoctorat.

L’important, indique M.Langlois, est de maintenir le réseau électrique au Québec et éventuellement, l’agrandir devant les besoins grandissants pour la population, dont l’électrification des transports.  « Nos infrastructures actuelles sont très âgées et malgré tout quand même en bon état. Il faut agir maintenant pour que l’aluminium devienne une option et que sa proportion dans les infrastructures augmente. Il ne faut pas oublier qu’il y a quelques dizaines de milliers de pylônes au Québec ».