par Alexandre d’Astous
Même si l’utilisation des batteries aluminium-air n’est pas encore très répandue, son utilisation est envisagée par certaines entreprises, dont au moins un industriel québécois qui préfère conserver l’anonymat pour l’instant.
Avant de travailler pour Hydro-Québec, le chercheur et chimiste Axel Gambou-Bosca a œuvré pour le Centre de métallurgie du Québec, où il a notamment eu à se pencher sur la question des batteries aluminium-air. Il a accepté de nous expliquer le fonctionnement de ce type de batteries, notamment par rapport aux batteries lithium-ion qui sont, entre autres, utilisées dans l’industrie des véhicules électriques.
Le marché des batteries pourrait être intéressant pour l’industrie de l’aluminium québécoise, mais nous sommes encore loin de la coupe aux lèvres. « Au centre de métallurgie du Québec, nous étions en contact avec l’industrie de l’aluminium. C’est ce qui nous a amenés à nous intéresser à cette technologie », mentionne le chercheur.
Monsieur Gambou-Bosca explique qu’une batterie aluminium-air fonctionne comme une pile. « Dans une pile, il y a deux électrodes, une anode et une cathode. Dans les batteries aluminium-air, nous avons la cathode à air; cependant, à la place d’avoir une électrode physique en métal, nous avons une membrane qui va permettre de filtrer l’oxygène de l’air, puis de le transformer en ion hydroxyde qui sera transporté vers l’électrode négative qui, dans ce cas, sera de l’aluminium. La réaction chimique entre l’aluminium et l’oxygène transformé se fait par l’intermédiaire d’un électrolyte, une solution d’eau basique, par exemple. Il s’agit d’une réaction de corrosion de l’aluminium. C’est cette opération qui va produire un courant. »
Non rechargeable
Contrairement à une batterie au lithium-ion, une batterie aluminium-air n’est pas rechargeable. « C’est ce qui mêle un peu les gens. Normalement, une batterie, ça peut être rechargée, à la différence d’une pile que l’on considère comme quelque chose qu’on doit remplacer par une nouvelle lorsqu’elle est déchargée. C’est ainsi que fonctionnent les batteries aluminium-air. Les quelques compagnies qui essaient de promouvoir l’utilisation de la batterie aluminium-air le font de cette façon, en indiquant qu’elle doit être remplacée comme une pile et qu’on ne peut pas la recharger », précise M. Gambou-Bosca. Il souligne d’ailleurs que c’est l’un des principaux points limitant cette technologie.
Un atout de l’aluminium, c’est le coût. « La recyclabilité de l’aluminium est aussi un avantage, tout comme la stabilité de ses piles. Les batteries aluminium-air essaient de percer le marché, qui est dominé par les batteries lithium-ion poussées par les constructeurs automobiles. Aujourd’hui, tous les constructeurs automobiles sont tournés vers ce type de batteries et les lignes de production sont faites en sorte que ces batteries soient intégrées dans les véhicules. Pour utiliser les batteries aluminium-air, il faudrait avoir des stations où les batteries seraient remplacées plutôt que rechargées », mentionne le chercheur.
Le spécialiste indique que des recherches sont faites actuellement pour essayer de développer des systèmes rechargeables. « Cependant, nous n’atteignons pas encore le nombre de cycles que l’on voudrait et les performances ne concurrencent pas celles des batteries dominant le marché comme les batteries lithium-ion. »
Une corrosion nuisible
Les batteries lithium-ion sont notamment utilisées pour les vélos ou les automobiles électriques. « L’industrie est déjà bien développée. Il y a une maturité technologique très importante pour cette technologie du lithium, ce qui fait qu’elle est déjà sur le marché. Bien que découverte dans les années 60, la technologie aluminium-air et ses premiers prototypes ont surtout servi à des applications militaires, notamment pour l’utilisation de drones ou pour les systèmes de communication. Cette technologie a encore, de nos jours, du mal à percer le marché, particulièrement, parce que la réaction chimique générant le courant crée de la corrosion de l’aluminium. L’aluminium qui se dissout à la cathode forme un oxyde d’aluminium gélatineux qui finit par recouvrir autant l’électrode négative que l’électrode positive. Pour cette raison, la réaction électrochimique nécessaire au fonctionnement de la batterie est considérablement diminuée. C’est un enjeu important et un facteur limitant intrinsèque sur lequel il faut travailler », souligne le chercheur.
Dès que l’on met l’aluminium en contact avec la solution aqueuse, qui va permettre de générer le courant, il y a une autocorrosion de l’aluminium. « Il y a également une réaction de génération d’hydrogène pendant le processus, ce qui est un autre facteur limitant pour ce type de technologie. C’est d’ailleurs l’une des raisons pour lesquelles nous ne sommes pas capables de recharger ces batteries-là en milieu aqueux. »
Des avantages au plan écologique
L’utilisation de l’aluminium a cependant de gros avantages au plan écologique. « L’aluminium produit au Québec est le plus propre dans le monde parce que notre électricité est très propre grâce à notre hydroélectricité. De plus, la capacité de recyclabilité de l’aluminium est beaucoup plus importante que celle du lithium. Avec l’utilisation de l’aluminium, on peut considérer que la batterie aluminium-air est recyclable à l’infini. Les risques de feux sont aussi moins importants avec ce type de technologie, qui utilise de l’eau comme électrolyte. Toutefois, il faut rappeler que le fait d’essayer de recycler les batteries au lithium-ion de façon efficace et rentable est un axe de recherche considérable aujourd’hui. Ça va être un enjeu dans le futur parce que les quantités de lithium ne sont pas inépuisables, alors que l’aluminium est assez abondant au niveau de la croûte terrestre », affirme M. Gambou-Bosca.
La légèreté de l’aluminium joue en sa faveur
« En termes de performance théorique, l’autonomie d’une batterie aluminium est plus grande, ce qui fait qu’elle permettrait à un véhicule de se rendre plus loin. Dans le cas des batteries au lithium-ion, on va parler de densité d’énergie pouvant aller de 150 watts heure par kilogramme jusqu’à 300 Wh/kg. Avec une batterie aluminium-air, théoriquement, on parle de 8100 Wh/kg pour l’anode d’aluminium et de 4 300 Wh/kg pour le système complet; toutefois, dans la pratique, on atteint plutôt 400-500 Wh/kg par kilogramme avec les électrolytes alcalins. Pour un véhicule lourd, l’utilisation d’une batterie aluminium-air serait intéressante pour la réduction du poids du véhicule dans la mesure où une énergie équivalente peut être stockée pour un moindre poids. » La légèreté de l’aluminium vient donc aussi jouer en sa faveur.
Axel Gambou-Bosca souligne qu’il y a des recherches qui se font également pour l’utilisation du lithium-air, qui posséderait une plus grande capacité de production d’énergie que l’aluminium-air. L’avantage de l’aluminium provient de son coût et de sa recyclabilité. Un industriel québécois s’est lancé en recherche et développement sur les batteries aluminium-air, mais la compagnie souhaite garder l’anonymat à ce stade de ses travaux.
Des avancées dans le monde
Au plan international, on sait que la Indian Oil Company travaille sur le développement d’une batterie aluminium-air en collaboration avec la compagnie israélienne Phinergy afin de se soustraire à la dépendance face à la Chine, principal producteur de lithium.
Dès 2014, Alcoa annonçait s’être associée avec Phinergy pour développer et commercialiser une batterie aluminium-air ayant une autonomie de 1 600 km.
En France, la jeune entreprise Lepty développe une batterie aluminium-air, destinée aux vélos et aux trottinettes électriques, qui offrent, grâce à une meilleure densité énergétique, une autonomie sept fois supérieure à celle utilisant la technologie lithium-ion.
« La technologie aluminium-air est connue depuis les années 1960 et est utilisée pour les applications militaires, mais elle n’a jamais été démocratisée à cause de l’utilisation du platine, que nous avons trouvé le moyen d’éviter grâce à notre innovation pour la fabrication des cathodes », a expliqué Martin Aurientis – fondateur de la start-up hébergée par Bordeaux Technowest et l’incubateur Unitec – au journaliste Frank Niedercorn, du journal français Les Échos.[/vc_column_text][/vc_column][/vc_row]