par Céline Normandin
L’aluminium a peut-être dû jouer les seconds violons dans l’impression 3D, mais le matériau pourrait prendre le premier rôle face à de nouveaux développements dans les alliages disponibles.
L’impression 3D, ou fabrication additive (FA), a révolutionné les manières de penser et d’utiliser les matériaux en faisant exploser les barrières propres à la construction des pièces. Plus complexes et plus faciles à monter, les pièces en impression tridimensionnelle réalisées à partir de fichier numérique ont vu leur usage se multiplier, tout comme les matériaux employés à cette fin. C’est le cas de l’aluminium qui est utilisé depuis un moment dans l’impression 3D. Les éléments fabriqués à partir de ce procédé se retrouvent surtout dans l’industrie aéronautique et le secteur automobile, notamment dans la conception des voitures de luxe. Parmi les métaux, le titane est toutefois le plus couramment utilisé, suivi du nickel et ensuite de l’aluminium.

Photo Alexandre Bois-Brochu : Le chercheur Alexandre Bois-Brochu, du Centre de métallurgie du Québec (CMQ), croit que l’avenir de l’aluminium en 3D repose entre autres dans la création de nouveaux alliages.
Pour le moment, l’usage de l’aluminium est limité par les propriétés des alliages disponibles au niveau commercial et par les procédés actuels d’impression. Il faut aussi ajouter qu’il est utilisé depuis moins longtemps que le titane, explique Alexandre Bois-Brochu, chercheur et responsable de l’Axe R&D – Fabrication additive et poudre métallique au Centre de métallurgie du Québec (CMQ). « Les alliages d’aluminium disponibles sur le marché ont des résistances moyennes lorsque comparés aux alliages d’aluminium traditionnels, et des propriétés spécifiques moyennes par rapport à d’autres métaux produits par FA ».
Des procédés de fabrication multiples
En ce moment, l’industrie utilise plusieurs procédés pour imprimer les métaux. Dans la plupart des cas, la fabrication se fait par superposition de fines couches. Il y a la projection de liant sur lit de poudre, la méthode la moins onéreuse, mais qui n’est pas habituellement utilisée pour l’aluminium. Des recherches sont cependant en cours pour réduire les coûts et l’adapter à l’impression l’aluminium.
- Photo « AMBIT d’Hybrid Manufacturing Technologies (DED) » : L’AMBIT est l’équipement utilisé lors de la fabrication additive pour le procédé de dépôt sous énergie dirigée (DED).
- Photo « SLM 125 de SLM Solutions (LPBF) » : Cette imprimante 3D, de système de fusion au laser sur lit de poudre (LPBF), fait partie des équipements de pointe pour fabriquer des pièces complexes de petite taille.
La seconde méthode, le dépôt sous énergie dirigée, a recours au dépôt sur des pièces existantes à l’aide d’un laser. Les lasers possèdent différentes longueurs d’ondes qui apparaissent alors verts, bleus ou rouges, les lasers rouges étant largement les plus communs sur le marché. Le laser vert fait pour sa part l’objet d’expérimentation pour l’aluminium.
Le procédé le plus populaire dans les métaux consiste dans la fusion au laser sur lit de poudre métallique. « Cette forme d’impression est utilisée pour de plus petits volumes de pièces. C’est elle qui détient la plus haute valeur ajoutée pour les pièces produites. La production de grand volume est souvent plus difficile à justifier en termes de coût, particulièrement pour l’aluminium. »
Des solutions au niveau de la fabrication

Photo « Anneau de diffuseur à gaz » : Cet anneau de diffuseur à gaz démontre les capacités de recherche en fabrication additive (FA).
En plus des propriétés propres aux alliages d’aluminium disponibles sur le marché et des procédés d’impression, deux autres aspects restreignent l’utilisation de l’aluminium. Il s’agit de la dimension des imprimantes ainsi que leur productivité, liée à la puissance et aux nombres de lasers utilisés. Les imprimantes 3D mesurent habituellement 25 x 25 centimètres de surface d’impression avec une puissance laser de 400 W. De nouvelles machines au laser plus imposantes et plus puissantes sont maintenant disponibles et voient leur adoption augmenter sur le marché. L’utilisation de ces imprimantes devrait faire baisser les coûts de production en permettant de fabriquer des pièces de plus grande dimension et à plus faible coût, explique M.Bois-Brochu.
Un autre élément à ajouter dans l’équation est qu’une très faible proportion de l’énergie du laser est absorbée par l’aluminium, si on le compare avec le titane, ce qui limite la capacité d’augmentation de la productivité et par conséquent, garde le prix des pièces plus élevé que pour d’autres matériaux. M.Bois-Brochu explique qu’un laser de 1000 W, soit une fois et demie fois plus puissante, utilisé sur une base industrielle, permettrait d’augmenter les épaisseurs de couches en FA de manière significative et par conséquent, de multiplier par quatre la productivité au moment de l’impression.
Une utilisation ciblée
Les pièces produites par fabrication additive sont surtout appréciées en ce moment par le secteur aéronautique en raison de leur faible poids. Pour cette industrie soumise à une augmentation des coûts importante, tout ce qui peut alléger le poids des avions et les frais d’utilisation des avions suscitent l’intérêt. Il faut toutefois beaucoup de temps pour que ces pièces soient adoptées dans ce secteur très réglementé. Des constructeurs tels que Boeing ou Airbus ont malgré tout leur propre département de R&D d’impression 3D pour l’aluminium.
L’aérospatial fait en comparaison une plus grande place à l’aluminium à cause de la présence déjà existante de pièces coulées et corroyées d’aluminium. Un intérêt est également présent de la part du secteur de la défense.
Le futur dans les alliages
« L’aluminium se trouve en ce moment entre l’arbre et l’écorce » indique le chercheur du CMQ. « Bien qu’il ait un poids très faible qui devrait le favoriser, le coût de fabrication limite les secteurs d’intérêt (…) La clef pour l’aluminium se trouve dans le développement de nouveaux alliages plus performants quant aux propriétés, plus particulièrement au niveau de sa résistance mécanique, qui augmenteront son utilisation ».
Le CMQ a détenu de 2019 à 2023 une Chaire de recherche industrielle du Conseil de recherche en sciences naturelles et en génie du Canada (CRSNG) pour le développement de poudres métalliques, d’où est issu le centre québécois d’excellence en métallurgie des poudres. D’autres segments ont bénéficié de la chaire, telles que les applications et les procédés de fabrication avancée, comme la fabrication additive, la métallurgie des poudres et la projection thermique.
Lors de l’obtention de la chaire de recherche, Gheorghe Marin, le directeur général du CMQ, mentionnait qu’il s’agissait d’un « grand projet intégrateur ». Les objectifs, disait-il, étaient multiples pour les poudres métalliques; en développer de plus haute qualité, leur trouver de nouvelles applications et développer de nouveaux alliages qui permettrait de créer des pièces à des fins industrielles.
Les nouveaux alliages ont un énorme potentiel et suscitent beaucoup d’intérêt. « C’est un secteur en pleine croissance », explique M.Bois-Brochu. Il reste encore beaucoup de travail à faire ajoute-t-il avant que l’aluminium égale le titane en parts de marché. Il faut améliorer sa résistance mécanique, ce qui passe par le développement de nouveaux alliages. Le défi actuel repose sur les ressources disponibles pour effectuer les projets de recherche, la demande étant plus grande pour ceux consacrées au titane. Le chercheur explique aussi que le rythme du développement est plus lent dans d’autres secteurs, comme celui de l’aéronautique.
L’impression 3D en forte croissance
Le potentiel général de la fabrication additive a été clairement identifié par le secteur industriel. Selon le magazine 3D Natives, portant sur l’impression 3D, ce procédé est l’une des technologies de fabrication avancées à la croissance la plus rapide au niveau industriel avec un marché mondial évalué à 6,36 milliards de dollars US en 2022, estimé par Grand View Research. Ce secteur devrait enregistrer un taux de croissance annuel composé (TCAC) de 24,2 % d’ici 2030.
Le potentiel de la FA n’est pas passé inaperçu auprès des gouvernements. Le CMQ a bénéficié de nombreux appuis financiers de plusieurs millions de dollars depuis 2016 pour appuyer les projets de développement de l’aluminium, notamment pour les infrastructures de recherche reliées à la fabrication additive et le développement des poudres métalliques. Le gouvernement du Québec a accordé une subvention en juin 2022 de près de 12 millions de dollars pour concevoir de nouveaux alliages performants.
Un autre projet doté d’un budget de 8,6 millions, a ajouté 8600 pi2 aux installations du CMQ avec l’acquisition de d’un atomiseur au gaz et d’un sphéroïdiseur au plasma, qui servent à réduire divers métaux en de fines particules.
Vers une utilisation élargie
En ce moment, le centre de recherche étudie la capacité d’atomisation en impression à des fins d’industrialisation, avec la collaboration d’entreprises. Les recherches portent sur le développement à la fois des poudres, de l’impression et du traitement thermique.
Les alliages sont aussi au cœur des travaux. De nombreuses entreprises à l’international sont également dans la course afin de trouver les meilleurs alliages d’aluminium pour la FA. La sélection des alliages pour une utilisation à grande échelle demeure le défi principal mais le potentiel y est, conclut M.Bois-Brochu.