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par Alexandre d’Astous

Au Québec, l’aluminium est utilisé dans la conception navale depuis le début des années 1980. Lors de la réalisation d’un état de la situation, le responsable du chantier matériel de Transport chez AluQuébec, Yves Archambault, a relevé les premières traces de l’utilisation de l’aluminium dans la fabrication d’un bateau en 1981.

M. Archambault souligne que l’aluminium se positionne comme la solution lorsqu’il répond aux exigences imposées par le profil de mission du bateau qui sera conçu.

« Lorsqu’on parle d’un bateau de sauvetage qui doit être rapide et agile, les architectes navals rapportent que c’est automatiquement l’aluminium qui s’impose. Le Chantier naval Forillon a d’ailleurs plusieurs de ces bateaux à son actif. Il y a aussi des bateaux de pêche qui gagnent à être légers et maniables ».

Bateau d’excursion Coupesag. (Photo courtoisie)

« Il est de la responsabilité de l’architecte naval de sélectionner le matériau qui répondra à l’ensemble des exigences du profil de mission du bateau à concevoir. L’aluminium fait partie des matériaux qui peuvent être utilisés dans la conception navale, au même titre que l’acier et les composites (fibres de verre). La légèreté de l’aluminium par rapport à l’acier est un avantage pour certains types de bateaux, mais un inconvénient pour d’autres, prenons ici l’exemple de navires devant affronter des glaces », explique M. Archambault.

Processus de conception d’un bateau

Un architecte naval, Paul Barbeau, de Navtech, a gracieusement fourni à Yves Archambault une représentation graphique du processus de conception d’un bateau. « Ça se présente sous la forme d’une spirale où une séquence d’une dizaine de sujets couvrant l’entièreté du bateau est étudiée en trois étapes successives qui sont l’avant-projet, le concept préliminaire et le concept final. »

Les principaux sujets étudiés sont le profil de mission du bateau, la zone d’opération (eaux intérieures, côtières, hauturières, tirant d’eau), les types de déplacements (courts et rapides ou longs et lents, les types de chargements et l’exposition aux glaces). Tout cela a un impact sur le choix des matériaux.

« La dernière étape est celle d’estimation des coûts. En supposant que la conception navale suit la même logique que tout autre projet, le concept retenu en bout de piste est généralement celui qui offre les meilleurs compromis », estime M. Archambault.

L’aluminium utilisé depuis plusieurs années au Québec

Le Québec dispose d’architectes et de chantiers navals qui conçoivent et construisent avec l’aluminium depuis plusieurs décennies. Les bateaux fabriqués en aluminium au Québec vont du secteur de la pêche récréative jusqu’à celui de la pêche commerciale avec des homardiers.

Le remorqueur naval Catatug conçu par Groupe Océan. (Photo courtoisie)

« Je ne peux m’empêcher de penser au remorqueur Catatug conçu et fabriqué en aluminium par Groupe Océan pour servir les opérations de construction du nouveau pont Champlain et celles du démantèlement de l’ancien pont. Le défi était d’avoir un bateau puissant pouvant circuler dans une faible profondeur d’eau. La légèreté était importante et le choix de l’aluminium s’est imposé », affirme Yves Archambault.

Les avantages de l’aluminium

Des bateaux en aluminium de Navtech. (Photo courtoisie Navtech)

Les architectes navals rencontrés par M. Archambault estiment que l’aluminium est le matériau qui satisfait d’emblée le critère de performance alliant la rapidité et la légèreté. Une superstructure allégée, construite en aluminium, confère une meilleure stabilité à un gros navire en abaissant son centre de gravité.

Parmi les autres constats rapportés par Yves Archambault, l’allègement apporté à un navire en aluminium peut lui permettre d’évoluer dans des eaux moins profondes en réduisant son tirant d’eau. Néanmoins, une certaine nuance s’impose : si on ne considère, par exemple, que le paramètre du tirant d’eau, un architecte naval pourrait élaborer trois coques avec les trois matériaux mentionnés précédemment (acier-aluminium-fibre de verre) en ajustant la géométrie de chacune de façon à obtenir le tonnage (déplacement d’eau) requis. Ultimement, la coque d’aluminium sera la plus légère.

« L’aluminium offre une excellente résistance à la corrosion dans un environnement marin, ce qui représenterait un avantage environnemental si on éliminait la peinture. Maintenant, après avoir réalisé la fierté des propriétaires envers leurs bateaux, je ne possède pas l’expérience nécessaire pour bien saisir la réponse du marché face à des bateaux sans couleur », commente M. Archambault.

Maintenant, l’allègement n’est pas toujours désiré. Prenons l’exemple d’un brise-glace qui a tout avantage à être lourd pour remplir sa fonction, ce qui impose l’utilisation de l’acier. « Un navire qui sera sévèrement exposé aux glaces pourrait aussi être un mauvais candidat à avoir une coque d’aluminium », souligne le spécialiste.

Mission commerciale en France

Yves Archambault a accompagné une mission commerciale du Québec sur la construction navale en France en mai 2023. « J’ai eu l’occasion d’échanger avec des personnes du Québec impliquées comme opérateurs de bateaux. J’en ai tiré des conclusions mitigées quant aux conditions qui gèrent la sélection des matériaux. Non pas que l’aluminium n’a pas sa place, mais que plusieurs autres conditions doivent être réunies simultanément », rapporte-t-il.

Le choix des matériaux est fait en fonction du type de bateau, de son utilisation et de l’environnement où il évoluera.

« On trouve facilement des exemples impressionnants de gros traversiers modernes, entièrement fabriqués en aluminium, et qui font partie de systèmes de transport en commun dans certaines régions du globe », signale M. Archambault.

Centre de gravité plus bas

Il est reconnu par les experts qu’une superstructure d’aluminium sur un gros bateau contribue à son allègement et abaisse son centre de gravité. « Toutefois, un chantier naval visité à Nantes fabrique de tels bateaux en séries de 4 à 5 navires identiques et absolument tout y est fabriqué en acier, mis à part peut-être quelques éléments distinctifs auxquels on n’avait pas accès, mais qui semblaient être construits en aluminium », constate M. Archambault, qui rappelle que le fait d’utiliser de l’aluminium pour la structure des paquebots en abaisse le centre de gravité du bateau, lui conférant une meilleure stabilité, en plus de réduire son poids.

D’autres facteurs décisionnels

Les principes physiques gérés par les architectes navals ont beau être les mêmes partout, Yves Archambault a constaté qu’il y a d’autres facteurs qui interviennent dans les choix des matériaux. Il y a une boucle de décision où toutes les réponses doivent être positives, c’est tout ou rien.

« L’opinion du propriétaire ou de l’opérateur de voir arriver l’aluminium dans une flotte existante toute en acier importe. Est-ce que les équipes d’entretien de son réseau actuel savent ou sauront comment faire effectuer les réparations ? Pourquoi changer une recette connue et gagnante ? Ça peut être un frein important. Si l’aluminium est imposé, est-ce qu’il sera nécessaire de développer une nouvelle relation d’affaires avec un nouveau chantier naval pour obtenir un bateau ? Ce sont toutes des questions que se posent les propriétaires de bateaux et le doute n’est pas acceptable dans un secteur aussi conservateur que la construction navale, pour des raisons évidentes de sécurité ».

Les préoccupations environnementales

La tendance actuelle étant à la décarbonation, M. Archambault croit que les préoccupations environnementales vont s’imposer graduellement.

« Je crois que l’électrification devrait prendre une place grandissante, place qui sera déterminée en fonction de la taille du bateau, de son utilisation et des capacités de stockage d’énergie. On voit déjà des systèmes accessoires convertis à l’électricité. Je retiens une citation d’un fabricant de bateaux de pêche qui mentionnait justement que des équipements hydrauliques dont la pompe est entraînée par un moteur électrique permettaient aux pêcheurs de ne plus avoir l’impression de travailler près d’une tondeuse qui tourne toute la journée. L’avantage obtenu par l’électrification est une grande amélioration des conditions de travail ». Différents types de motorisation sont déjà disponibles. Comme partout ailleurs, l’augmentation de la densité énergétique des batteries permettra de nouveaux développements.

Le recyclage

Parmi les avantages environnementaux de l’aluminium, il y a le fait qu’il soit recyclable. « La durée de vie d’un bateau semble être estimée de 30 à 40 ans. Le recyclage d’un bateau arrivé en fin de vie est une opération d’envergure. Le potentiel de recyclage à l’infini de l’aluminium est bien connu, peut-être qu’un jour on verra apparaître des incitatifs qui tiendront compte de l’empreinte environnementale de la fin de vie. Je pense ici à la première génération de bateaux fabriqués en résine renforcée de fibre de verre apparue dans l’industrie aux débuts des années 1970 et qui arrive en fin de vie. À ce jour, il n’existerait pas encore de recyclage possible et la seule alternative serait le broyage pour produire un matériau de remplissage ».

Il y aurait présentement 1 500 bateaux à l’abandon au Canada. « Selon moi, un bateau en aluminium ne restera pas longtemps à l’abandon parce que le métal a une valeur sur le marché des métaux recyclés », mentionne M. Archambault.

En résumé, dans l’industrie navale comme partout ailleurs, le dicton du bon matériau au bon endroit s’applique toujours.

Bateau de sauvetage du Chantier naval Forillon. (Photo courtoisie)