Par Jose Alberto Muniz Lerma1, In-Ho Jung1, et Mathieu Brochu1
1 Département de génie des mines et des matériaux, Université McGill, 3610, rue University, Édifice Wong, Montréal, QC, H3A 0C5, Canada
L’une des qualités importantes de l’aluminium est son aptitude à être recyclée avec des pertes minimales par oxydation tout en conservant l’essentiel de ses propriétés. Le recyclage de l’aluminium se distingue également par d’importantes économies d’énergie générées, évaluées à 2,8 kWh par kg d’aluminium produit, comparé à 45 kWh par kg d’aluminium primaire. Le recyclage de l’aluminium est très avantageux d’un point de vue environnemental, puisqu’il émet environ 0,6 kg de CO2 par kg d’aluminium produit, comparé à 12 kg de CO2 par kg d’aluminium primaire.
Afin de produire de l’aluminium recyclé de qualité, la quantité d’impuretés présentes doit être minimisée . Les revêtements organiques ou non organiques appliqués à l’aluminium pour des raisons de protection contre la corrosion et d’esthétisme constituent l’une des principales sources d’impuretés qui contaminent l’aluminium recyclé. Le décapage des revêtements constitue ainsi une étape importante de prétraitement de rebuts d’aluminium avant recyclage. Ce décapage peut se faire par l’application d’un cycle thermique qui entraine la dégradation d’une partie importante des composants des revêtements.
Le décapage thermique des revêtements sur des composantes d’avion en alliages d’aluminium destinées au recyclage est un sujet d’intérêt pour l’industrie aéronautique. Cependant, ce sujet a été peu abordé par la littérature scientifique dans le contexte de l’industrie aéronautique. Cet article vise à optimiser les para- mètres du processus de décapage thermique des revêtements protecteurs appliqués à des substrats d’aluminium provenant d’un avion régional à recycler. La quantification de la teneur en chrome hexavalent (Cr(VI)) des revêtements aéronautiques constitue également un autre objectif de ce travail.
Procédure expérimentale
Le matériau utilisé dans cette étude est un substrat en aluminium (AA 7075) muni d’un revêtement protecteur, qui a été prélevé au bas du fuselage d’un avion régional CRJ100 destiné au recyclage. Le revêtement appliqué consiste en un système à trois couches : une couche amorphe obtenue à la suite d’un traite- ment de chromatation, un apprêt époxy-polyamide et une couche de finition en polyuréthane. L’analyse microstructurale du revêtement a été réalisée en utilisant un microscope électronique à balayage à effet de champ (FE-SEM) couplé avec un spectromètre aux rayons X à dispersion d’énergie (EDS). L’identification des phases présentes dans le revêtement a été réalisée par diffraction aux rayons X (XRD) et spectroscopie Raman. L’étude du processus de l’élimination thermique du revêtement sera menée par analyse thermogravimétrique (TGA). Finalement, la quantification de la teneur en chrome hexavalent (Cr(VI)) a été réalisée en procédant à l’élimination par voie chimique de la couche de revêtement pour révéler l’apprêt, puis en grattant ce dernier pour en prélever des particules. Ces particules ont subi plusieurs traitements (broyage, dissolution dans une solution caustique, filtraion) avant d’être analysées par spectrophotométrie UV VIS pour la détermination de la teneur en (Cr(VI)) .
Résultats et discussions
La figure 1 montre les cartes de composition EDS correspondant à la section transversale du substrat en aluminium avec le revêtement composé de trois couches distinctes. Ces couches correspondent à l’apprêt, un apprêt de ponçage et une couche de finition avec des épaisseurs d’environ 12 ± 2, 20 ± 2 et 73 ± 2 μm, respectivement . Les première et deuxième couches (de bas en haut) sont des matériaux hétérogènes contenant des composés inorganiques dans une matrice organique, tandis que la troisième couche est composée essentiellement d’une matrice organique . Les cartes de composition EDS suggèrent que des éléments comme le Sr, Cr, Si, Mg, Ti, C et O sont principalement présents dans l’apprêt, alors que Ba, S, C et O sont présents dans l’apprêt de ponçage.
Une analyse par diffraction aux rayons X (XRD) de l’apprêt a montré que les composés inorganiques sont essentiellement le dioxyde de titane (Rutile-TiO2), le chromate de strontium (SrCrO4) et le dioxyde de silicium (quartz-SiO2). Le SrCrO4, TiO2 et SiO2 représentent respectivement l’inhibiteur de corrosion, le pigment et le diluant. La micrographie de l’apprêt observé en section montre que les composés inorganiques se présentent sous la forme de particules sphériques, irrégulières et en plaque (figure 2). La figure 3 illustre la distribution granulométrique cumulative de la taille de ces particules, qui varie de quelques dixièmes de microns jusqu’à 12 μm.
La figure 4 montre des échantillons en aluminium avec revêtement prélevés de l’avion à recycler, et ce, avant et après le décapage thermique. On peut observer qu’avant le décapage thermique, la peinture avait une surface lisse et brillante. Après le décapage thermique, les composés organiques présents dans la matrice polymérique ont été entièrement éliminés. Cependant, une couche rugueuse de résidu de couleur gris et vert, correspondant aux pigments inorganiques et aux charges (filler) de la peinture, est restée attachée au substrat. Par conséquent, un décapage par frottement mécanique a été réalisé pour éliminer complètement le revêtement présent sur le substrat en aluminium.
Les analyses réalisées par thermogravimétrie ont montré que la perte de masse moyenne à la suite du décapage thermique est de 5 %. Cette perte correspond à la matrice organique du revêtement appliqué sur le substrat en aluminium. Les courbes thermogravimétriques ont montré que la dégradation thermique du revêtement se produit suivant quatre étapes : (1) la rupture des chaînes polymériques du revêtement; (2 – 3) la décomposition de composés à haute masse moléculaire laissant des résidus de carbonisation sur le substrat, et (4) les résidus de carbonisation restants sont dégradés en formant une fine pellicule de particules inorganiques sur le substrat.
Un exemple d’analyse thermogravimétrique d’un processus de décapage thermique réalisé à un taux de chauffage de 10 K/min est montré à la figure 5.
La température du four et le temps de séjour des échantillons à recycler sont les paramètres les plus importants à contrôler lors du décapage thermique afin d’éviter la fusion et l’oxydation du substrat en aluminium. En analyse thermogravimétrique, la température de réaction (Tp) est définie comme la température à laquelle le taux maximum de perte de masse se produit à chaque étape de décomposition du revêtement. Ainsi, la température minimale du four doit correspondre à la température la plus basse per- mettant l’achèvement des quatre étapes de décomposition. Les températures de réaction (Tp) de chaque étape de décomposition à différentes vitesses de chauffage sont présentées dans le tableau 1, où on peut noter que les températures Tp augmentent avec le taux de chauffage. Ce décalage est attribué à l’effet du transfert de chaleur qui entraîne un retard de la réaction de décomposition avec la diminution du taux de chauffage. Le tableau 1 permet de déterminer le taux de chauffage optimal qui doit être le plus élevé possible, tout en permettant un décapage complet (au stade 4) à une température inférieure à la température du solidus du substrat. Ces conditions correspondent à un taux de chauffage de 10 K/min.
Dans le but de réduire le temps de décapage, l’effet de la température isotherme et de la vitesse de chauffage sur le temps de séjour a été étudié. Le temps de séjour représente l’intervalle de début de l’isotherme jusqu’à la fin de la dernière étape du décapage (étape 4), ou le temps nécessaire pour décomposer complètement le revêtement une fois que les isothermes sélectionnées ont été atteintes. Quatre isothermes ont été sélectionnées et trois vitesses de chauffage différentes ont été utilisées pour atteindre chaque isotherme (tableau 2). La dépendance de la température isotherme et de la vitesse de chauffage sur le temps de séjour est observée dans la figure 6, où on peut observer que le temps de séjour diminue avec l’augmentation des isothermes et de la vitesse de chauffage . Ainsi, sur la base des résultats précédents et compte tenu des températures de solidus des alliages d’aluminium aéronautique, la température de décapage optimale pour un procédé isotherme est de 753,15 K (480°C). Cette température correspond à un temps de séjour moyen de 4 minutes pour les trois vitesses de chauffage testées.
Finalement, la concentration moyenne de Cr(VI) obtenue par mg d’apprêt rayé correspond à 36,566 ± 0,002 μg/mg. D’un autre côté, et en considérant que la teneur par unité de surface de l’apprêt est de 72 ± 8 μg/mm2, la teneur de Cr(VI) par unité de surface de substrat a été estimée à 2,6 ± 0,1 μg/ mm2. Cette valeur est inférieure à la concentration de Cr(VI) obtenue dans le cas de certains apprêts fraîchement appliqués. Cependant, pendant la durée de vie d’un avion, le fuselage est généralement exposé à différentes conditions environnementales telles qu’une humidité variable et des environnements corrosifs. En raison de cette exposition, le chromate contenu dans l’apprêt peut être libéré, ce qui diminue sa concentration initiale.
Conclusion
La caractérisation du système de revêtement des substrats en aluminium des avions a montré la présence d’un système de revêtement organique/inorganique constitué de trois couches distinctes. Ces couches contiennent un mélange de phases inorganiques identifiées comme SrCrO4, Rutile-TiO2, SiO2, BaSO4 et Talc-Mg3Si4O10(OH)2 qui ne sont pas modifiées après traitement thermique. La dégradation thermique du revêtement appliqué se fait suivant quatre étapes de décomposition pour une perte moyenne de masse totale de 5 %. La première et la deuxième étape sont associées à l’élimination des composants volatils, du gaz piégé et des matériaux de faible masse moléculaire. La troisième étape est liée à la rupture des liaisons et à l’évaporation des matériaux de masses moléculaires plus élevées, tandis que la quatrième étape correspond à la combustion des composants carbonés . La température optimale requise pour favoriser le décapage thermique des revêtements d’alu- minium d’aéronef était à une isotherme de 753,15 K (480°C). Le temps de séjour pour le décapage thermique à cette température a été estimé à 4 minutes . Enfin, la teneur de Cr(VI) par unité de surface de substrat a été estimée à 2,6 ± 0,1 μg/ mm2.
Cet article a été adapté par Sofiene Amira, directeur scientifique au CQRDA, à partir de « Thermal Decoating of Aerospace Aluminum Alloys for Aircraft Recycling », Metallurgical and Materials Transactions B, 2016, 47B, 1976 (DOI: 10.1007/ s11663-016-0629-6).