par Me Adam Ansari, Cain Lamarre
Les parties impliquées dans la réalisation de projets innovants, tels que les centres de recherche publics ainsi que les producteurs et transformateurs de la filière de l’aluminium, peuvent être appelées à investir des ressources importantes pour le développement de nouvelles technologies ou l’amélioration de technologies existantes. Dans ce contexte, il devient incontournable pour ces parties de cerner adéquatement les enjeux de propriété intellectuelle inhérents à leur projet.
Le présent article est consacré à la présentation sommaire des principaux types d’actifs de propriété intellectuelle protégeables au Canada, et à l’émission de commentaires pragmatiques pouvant s’avérer utiles à toute personne qui envisage de participer à un projet conjoint de recherche et développement.
Qu’est-ce que la propriété intellectuelle?
Avant de procéder à la déclinaison des principaux types d’actifs de propriété intellectuelle, il convient d’attribuer une définition à ce domaine juridique ésotérique. En termes généraux, la propriété intellectuelle peut être décrite comme une grande famille de droits dont l’objet principal est de promouvoir l’innovation en établissant un équilibre entre, d’une part, les régimes de protection des créations provenant de l’esprit et, d’autre part, le maintien d’une saine concurrence au sein des marchés [1]. L’illustration reproduite ci-dessous fournit un aperçu de la variété des droits composant cette grande famille au Canada :
1. Les brevets
Au Canada, les brevets sont émis par l’Office de la propriété intellectuelle du Canada (l’« OPIC ») en lien avec une invention et ont pour objet d’octroyer à leur titulaire le droit exclusif de fabriquer, construire, exploiter et vendre à d’autres, pour qu’ils l’exploitent, l’objet de cette invention [2]. Ainsi, le titulaire d’un brevet se voit investi d’un monopole commercial sur son invention pour une durée de 20 ans à compter de la date du dépôt de la demande de brevet [3], et ce, en contrepartie de l’obligation pour ce dernier d’avoir divulgué publiquement une description détaillée de ladite invention afin que tous les Canadiens puissent bénéficier des avancées en matière de technologie et de connaissances [4]. En vertu de la Loi sur les brevets, une « invention » s’entend de « toute réalisation, tout procédé, toute machine, fabrication ou composition de matières, ainsi que tout perfectionnement de l’un d’eux, présentant le caractère de la nouveauté et de l’utilité [5]. » L’analyse du caractère brevetable d’une invention au Canada constitue un exercice complexe, qui devrait être réalisé avec l’aide d’un agent de brevets dûment accrédité par le Collège des agents de brevets et des agents de marques de commerce.
En pratique : L’un des critères applicables pour évaluer la brevetabilité d’une invention est celui de la nouveauté. Ce critère ne pourra pas être satisfait si, entre autres, l’invention a fait l’objet, plus d’un an avant la date du dépôt de la demande de brevet, d’une communication effectuée par le demandeur du brevet ou une tierce partie ayant obtenu de lui l’information sur ladite invention, l’ayant ainsi rendue accessible au public au Canada ou ailleurs [6]. À la lumière de ce qui précède, toute information afférente à une invention potentiellement brevetable qui doit être divulguée à une tierce partie dans le cadre d’un projet de recherche et développement devrait être protégée par des engagements de confidentialité stricts. Dans un autre ordre d’idées, les parties impliquées dans un projet de recherche et développement susceptible de mener à la création d’une invention potentiellement brevetable devraient convenir de mécanismes contractuels exhaustifs concernant l’attribution des droits dans l’invention en cause. En l’absence de tels mécanismes, les inventeurs ou, le cas échéant, leurs cessionnaires pourront tous prétendre être investis du droit de bénéficier des avantages afférents au brevet pouvant être accordé par l’OPIC à l’égard de cette invention [7]. Par exemple, le consentement de tous les brevetés pourrait être requis préalablement à l’exercice d’un droit découlant du brevet, comme celui d’exploiter l’objet de l’invention ou de concéder des licences d’exploitation en faveur de tierces parties.
2. Les dessins industriels
Au Canada, une personne peut déposer une demande d’enregistrement d’un dessin industriel auprès de l’OPIC dans le but d’obtenir une protection sur les caractéristiques visuelles d’un objet fini en ce qui touche sa configuration, ses motifs ou ses éléments décoratifs [8]. À titre d’exemple, la société Ford Global Technologies, LLC est titulaire d’un dessin industriel portant sur les caractéristiques visuelles du véhicule reproduit sur l’image suivante [9] :
Pour une période de 10 ans suivant la date de l’enregistrement d’un dessin industriel auprès de l’OPIC, nul ne peut, sans bénéficier de l’autorisation de son titulaire, fabriquer, importer à des fins commerciales, ou vendre, louer ou offrir, ou exposer en vue de la vente ou de la location un objet pour lequel le dessin a été enregistré et auquel est appliqué le dessin ou un dessin ne différant pas de façon importante de celui-ci [10]. En pratique : À l’instar des brevets, le critère de la nouveauté doit être satisfait pour conclure au caractère enregistrable d’un dessin industriel. En conséquence, toute communication du dessin industriel, ou d’un dessin industriel ne différant pas de façon importante de celui-ci, l’ayant rendu accessible au public au Canada ou ailleurs, ayant été effectuée plus d’un an avant la date de dépôt la demande d’enregistrement, par (i) le demandeur; (ii) la personne de laquelle il a obtenu le droit de déposer la demande d’enregistrement ou (iii) une tierce partie ayant obtenu de l’un d’eux des informations sur le dessin industriel en cause, fait échec à la qualification de ce dessin industriel comme étant nouveau [11]. Au demeurant, toute personne susceptible d’avoir accès à des informations se rapportant au développement d’un objet fini dont les caractéristiques visuelles sont potentiellement protégeables par l’enregistrement d’un dessin industriel devrait être assujettie à des engagements de confidentialité stricts. Par ailleurs, il importe de souligner que le dessin industriel ne constitue pas un instrument de protection du procédé industriel de fabrication ou des fonctions utilitaires de l’objet fini auquel il se rattache [12]. En effet, la protection de tels éléments relève plutôt du domaine des brevets. Cet exemple permet d’illustrer l’importance pour les parties impliquées dans un projet de recherche et développement de discerner les différents régimes juridiques en matière de propriété intellectuelle dont elles peuvent se prévaloir afin d’optimiser la protection des résultats de leur travail.
3. Les secrets de commerce
Contrairement à la plupart des autres types d’actifs de propriété intellectuelle protégeables au Canada, les secrets de commerce ne font l’objet d’aucune loi fédérale spécifique. Au Québec, ils sont évoqués dans le texte de certaines dispositions du Code civil du Québec [13], mais c’est principalement la jurisprudence qui fournit des éclaircissements sur leur nature. Dans une décision relativement récente, la Cour supérieure du Québec a élaboré une grille d’analyse comportant six critères devant être pondérés afin de déterminer si un ensemble d’informations confidentielles constitue un secret de commerce : « [140] Ainsi l’évaluation des éléments suivants permettra de vérifier si les informations constituent un secret commercial :
- l’étendue des connaissances des employés qui ont développé le produit;
- les mesures prises pour assurer le caractère secret;
- les ressources investies pour développer l’information;
- la connaissance ou non des informations hors de la personne ou société qui réclame le secret commercial;
- la valeur de l’information pour celui qui détient le secret et pour les concurrents;
- la facilité ou difficulté par laquelle l’information puisse être reproduite par quelqu’un d’autre. » [14]
En pratique : Le régime des secrets de commerce peut offrir une protection juridique intérimaire séduisante aux entreprises qui investissent des ressources importantes dans la recherche et le développement d’un produit éventuellement brevetable. De même, ce régime peut servir à protéger indéfiniment des informations confidentielles inhérentes à un produit dépourvu de caractère brevetable ou que le propriétaire estime préférable de ne pas divulguer au public en contrepartie de la possibilité d’obtenir un brevet. Comme les secrets de commerce sont intrinsèquement occultes, il appartient à la personne qui les revendique de démontrer leur existence à la lumière des critères précédemment énumérés. En conséquence, toute personne qui envisage de se prévaloir de la protection du régime des secrets de commerce devrait mettre en place une série de mesures destinées à assurer le maintien du caractère secret des informations confidentielles concernées. Parmi ces mesures figurent la limitation de l’accès aux informations confidentielles à un groupe de personnes restreint, la signature d’engagements de confidentialité par toute personne ayant accès aux informations confidentielles, l’adoption de politiques internes en matière de confidentialité et la mise en place d’outils physiques et technologiques en conformité avec le contenu de telles politiques. En matière de secrets de commerce, trop fort ne casse pas!
4. Les marques de commerce
Les marques de commerce sont des signes, ou une combinaison de signes, utilisées par une personne afin de distinguer ses produits et services de ceux des autres sur le marché [15]. Pour bénéficier d’une protection optimale à l’égard d’une marque de commerce, il est recommandé d’entreprendre un processus d’enregistrement auprès de l’OPIC. Cependant, l’analyse du caractère enregistrable d’une marque de commerce au Canada constitue un exercice complexe qui devrait être réalisé avec l’aide d’un agent de marques de commerce dûment accrédité par le Collège des agents de brevets et des agents de marques de commerce.
L’enregistrement d’une marque de commerce confère à son titulaire le droit d’exclusif d’en faire l’utilisation au Canada en association avec des produits et services spécifiques ayant été indiqués dans la demande d’enregistrement [16]. Ce droit exclusif est valide pour une période initiale de 10 ans à compter de la date de l’enregistrement, et peut faire l’objet d’un nombre illimité de renouvellements par la suite [17].
En pratique : Le choix d’une marque de commerce destinée à être utilisée en association avec un nouveau produit revêt une importance capitale pour une entreprise. Effectivement, c’est par l’intermédiaire de cette marque de commerce que le public tissera un lien entre ledit produit et l’entreprise qui le commercialise. Dans ce contexte, la réalisation d’une recherche de disponibilité de la marque de commerce au Canada devrait constituer une étape préalable à sa sélection définitive. Les résultats de cette recherche pourraient éviter à l’entreprise concernée d’investir des ressources importantes dans la création et le déploiement d’une marque de commerce dont l’utilisation risque d’affecter les droits d’une tierce partie.
L’une des distinctions majeures entre les marques de commerce et les autres types d’actifs de propriété intellectuelle réside dans le fait que leur protection est tributaire de leur utilisation [18]. Malgré l’existence d’un enregistrement valide auprès de l’OPIC, une marque de commerce qui n’est pas utilisée par son titulaire peut être vulnérable à des procédures en radiation [19].
5. Les droits d’auteur
Le titulaire des droits d’auteur sur une œuvre originale bénéficie du droit exclusif de produire ou reproduire la totalité ou une partie importante de cette œuvre, sous une forme matérielle quelconque, d’en exécuter ou d’en représenter la totalité ou une partie importante en public et, si l’œuvre n’est pas publiée, d’en publier la totalité ou une partie importante, y compris le droit exclusif d’autoriser une tierce partie à poser l’un ou l’autre de ces actes [24].
En pratique : La Loi sur le droit d’auteur édicte une présomption à l’effet que l’employeur est le premier titulaire des droits d’auteur sur une œuvre originale créée par l’un de ses employés dans le cadre de l’exercice de ses fonctions [25]. Cependant, aucune présomption équivalente n’existe à l’égard des œuvres originales créées par un fournisseur de services indépendant ou par un partenaire d’affaires dans le cadre d’un projet de recherche et développement. En pareille situation, il devient primordial d’aménager des mécanismes contractuels de cession des droits d’auteur [26] qui reflètent adéquatement l’entente des parties à ce sujet.
Les droits d’auteur comprennent les droits moraux d’un auteur sur une œuvre originale issue de sa création [27]. Les droits moraux sont une forme de reconnaissance de la relation particulière qui peut exister entre un auteur et son œuvre. Par exemple, l’auteur d’une œuvre peut invoquer ses droits moraux afin (i) d’exiger que la personne en faveur de laquelle il a cédé ses droits d’auteur sur cette œuvre l’exploite sous une forme assurant une reconnaissance de sa paternité à l’égard de ladite œuvre et (ii) de s’opposer à toute modification ou utilisation de cette œuvre qui est de nature à porter atteinte à l’intégrité de celle-ci, notamment en portant préjudice à son honneur ou sa réputation. En raison du fait qu’ils sont intimement liés au statut d’auteur d’une œuvre, les droits moraux ne peuvent faire l’objet d’aucune cession; néanmoins, ils peuvent faire l’objet d’une renonciation écrite [28].
La propriété intellectuelle est un domaine juridique complexe qui comporte plusieurs ramifications. Une stratégie complète en matière de propriété intellectuelle devrait être élaborée dans le cadre de chaque projet de recherche et développement afin d’identifier les différents régimes juridiques applicables, d’une part, et de préparer des instruments contractuels appropriés en fonction des ententes intervenues entre les parties impliquées, d’autre part. Les membres de l’équipe du cabinet Cain Lamarre S.E.N.C.R.L. spécialisés en droit de la propriété intellectuelle sont disponibles pour vous accompagner dans le cadre d’une telle démarche.
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Références
Note : Le présent article contient des informations à caractère juridique qui sont à jour en date de sa publication, soit le 8 juin 2023. Rien dans le présent article ne doit être interprété comme un avis juridique applicable à une situation spécifique.
[1] Voir notamment Théberge c. Galerie d’Art du Petit Champlain inc., 2004 CSC 13, par. 30 (droits d’auteur), Bristol-Myers Squibb Co. c. Canada (Procureur général), 2005 CSC 26, par. 1 (brevets) ou encore Mattel, Inc. c. 3894207 Canada Inc., 2006 CSC 22, par. 21 (marques de commerce).
[2] Loi sur les brevets, L.R.C. (1985), c. P-4, art. 2 (définition du terme « brevet ») et 42.
[3] Id., art. 44.
[4] Id., par. 27 (3).
[5] Id., art. 2 (définition du terme « invention »).
[6] Id., al. 28.2 (1) a).
[7] Id., par. 31 (5).
[8] Loi sur les dessins industriels, L.R.C. (1985), c. I-9, art. 2 (définition du terme « dessin ») et 4.
[9] Voir Fig.5
[10] Loi sur les dessins industriels, préc., note 8, par. 10 (1) et 11 (1). La durée de protection du dessin industriel sera de 15 ans suivant la date de dépôt de la demande d’enregistrement, si celle-ci est postérieure à la date du 10e anniversaire de la date d’enregistrement du dessin industriel.
[11] Id., al. 8.2 (1) a).
[12] Id., art. 11.1.
[13] Code civil du Québec, art. 1472 et 1612.
[14] Equisoft inc. c. Éditions Protégez-Vous, 2021 QCCS 526, par. 140.
[15] Loi sur les marques de commerce, L.R.C. (1985), c. T-13, art. 2 (alinéa a) de la définition de l’expression « marque de commerce »).
[16] Id., art. 19.
[17] Id., par 46 (1).
[18] Masterpiece Inc. c. Alavida Lifestyles Inc., 2011 CSC 27, par. 35.
[19] Loi sur les marques de commerce, préc., note 15, art. 45.
[20] Loi sur le droit d’auteur, L.R.C. (1985), c. C-42, art. 2 (définition du terme « œuvre ») et 6. Certaines situations peuvent exercer une incidence sur la durée pendant laquelle subsistent les droits d’auteur sur une œuvre originale (à cet égard, voir art. 6.1 à 12).
[21] CCH Canadienne Ltée c. Barreau du Haut-Canada, 2004 CSC 13, par. 16.
[22] Théberge c. Galerie d’Art du Petit Champlain inc., préc., note 1, par. 25.
[23] Veuillez noter que l’enregistrement de droits d’auteur confère certains avantages à son titulaire. Voir notamment Loi sur le droit d’auteur, préc., note 20, par. 53 (1), (2) et (3).
[24] Id., par. 3 (1).
[25] Id., par. 13 (3).
[26] Id., par. 13 (4).
[27] Id., par. 14.1 (1).
[28] Id., par. 14.1 (2) et (3).