par Jonathan Thibeault
Une équipe de chercheurs du Centre Eau Terre Environnement affiliée à l’Institut national de la recherche scientifique (INRS) a pu découvrir les effets insoupçonnés de l’aluminium dans le piégeage du carbone dans les océans. Fait intéressant : on ne parle pas d’une forme solide du métal. Claude Fortin, professeur à l’INRS, codirecteur du Regroupement stratégique EcotoQ et coauteur de l’étude, fait un tour d’horizon des travaux de ses collègues et lui.

Claude Fortin, professeur à l’INRS, s’intéresse de façon générale à la biogéochimie et à l’écotoxicologie des métaux en milieu aquatique.
Bien que nous pourrions avoir collectivement l’idée que le poumon de la planète se trouverait en plein cœur du Brésil avec la forêt amazonienne, Claude Fortin explique que la grande majorité des producteurs d’oxygène provient d’organismes microscopiques qui se trouvent dans l’océan. « La recherche s’est intéressée au CO2 dans l’atmosphère. On parle souvent de l’Amazonie comme étant le poumon de la planète. Dans les faits, ce sont les diatomées marines qui produisent la moitié des besoins de la planète. Ce n’est pas négligeable », soutient-il.
Réduire les effets de la décomposition du phytoplancton
La décomposition d’organismes crée des émissions de carbone. Pour y remédier, les chercheurs ont analysé les effets de l’aluminium injecté dans l’eau pour vérifier si il ne pouvait pas avoir un effet plus durable que de l’ensemencement de fer, un procédé ayant été essayé à la fin du siècle dernier. « La communauté scientifique a réalisé à la fin du 20e siècle que le fer est un élément limiteur à la croissance du phytoplancton. Il y a eu, à l’époque, de l’ensemencement de fer pour stimuler l’assimilation de carbone, et donc contribuer à une diminution de la concentration dans l’atmosphère. Il y avait une [efflorescence algale] (une augmentation rapide d’une espèce, NDLR), plus de CO2 transformé en carbone organique, mais la boucle microbienne est extrêmement efficace : il y avait un effet transitoire, c’est-à-dire que ce n’était pas une mesure efficace à long terme. Là où notre contribution est intéressante : l’aluminium en solution aqueuse rend les diatomées plus résistantes à la dégradation. Si l’organisme arrive à se sédimenter, le carbone demeurera au fond, ce qui, en outre, pourrait permettre une séquestration du carbone », détaille Claude Fortin.
Différencier les secteurs côtiers et la haute mer
Le scientifique rappelle que bien que leurs travaux ne traitent pas directement des changements climatiques, les observations quant aux réactions des océans en lien avec ces phénomènes naturels doivent être documentées. « Si on a davantage d’événements climatiques qui amènent plus d’érosion et plus d’apport naturel en fer et en aluminium, il y faudrait améliorer les modèles prédictifs sur ce qu’il va se passer dans le futur et voir si ces phénomènes ont des rétroactions quelconques dans l’environnement océanique », croit-il. Le milieu marin est une science bien complexe, et Claude Fortin évoque l’importance de différencier les secteurs côtiers de la haute mer, où les concentrations d’éléments peuvent grandement varier. « Évidemment, toutes les régions côtières, du fer, il y en a beaucoup. En fait, les eaux douces sont saturées en fer. C’est surtout en haute mer que c’est limitant. La concentration est plus diffuse en comparaison des concentrations qu’on trouve près des continents ».
Contribution naturelle
L’aluminium est un élément métallique parmi les plus abondants dans la croûte terrestre, mais on en retrouve une concentration très faible dans la couche supérieure de l’océan. Pour le chercheur, l’idée d’injecter artificiellement de l’aluminium dans l’eau n’est pas la meilleure idée. « On parle d’un peu d’aluminium, d’une concentration sous les micromolaires (μM), donc des traces minimes. […] Injecter artificiellement de l’aluminium dans les océans ne serait pas la solution première à la captation de carbone. La contribution du métal dans sa solution aqueuse pourrait se faire par l’apport atmosphérique et l’érosion des continents notamment. L’apport naturel peut apporter une dose suffisante dans le phénomène que nous avons pu observer dans le cadre de nos travaux », met en relief le scientifique.
Une contribution immense à l’écosystème marin

Les phytoplanctons sont des organismes unicellulaires, constituant la végétation des océans.
Au-delà de la faune marine, l’expert de l’INRS soutient que tous les végétaux unicellulaires contribuent davantage que les poissons et autres espèces dans le cycle du carbone. « Le phytoplancton, composé de végétaux unicellulaires, joue un rôle crucial dans la production d’oxygène, malgré sa petite taille. Ces organismes, bien que mesurant quelques microns à peine, contiennent une quantité de carbone significativement supérieure à celle des poissons et autres espèces, surtout à l’échelle d’un plan d’eau. Historiquement, l’intérêt commercial s’est concentré sur les poissons, pour la pêche sportive ou l’alimentation. Cependant, d’un point de vue écologique, il est essentiel de se pencher sur la chaîne trophique [de nutrition] dans son ensemble, où le phytoplancton occupe une position fondamentale. Ce n’est pas parce qu’on ne les voit pas que ce n’est pas important », a déclaré M. Fortin.
D’autres avancées à surveiller
Bien que, de son côté, sa contribution soit à terme, Claude Fortin croit que l’instigateur de la recherche pourrait fort bien pousser ses travaux plus loin dans les prochaines années. Déjà, selon lui, la communauté scientifique commence à s’intéresser aux thèses de l’équipe de chercheurs. « Notre étude est venue bousculer les perceptions traditionnelles. Nous avons découvert que l’aluminium joue un rôle inattendu en rendant les diatomées plus résistantes. Cette découverte pourrait modifier notre compréhension du stockage du carbone dans les océans. En dehors de notre équipe, j’ai remarqué dans la littérature que notre hypothèse commence à être corroborée. Bien que nous n’en soyons pas encore à des expériences à grande échelle, je ne serais pas surpris que des recherches plus approfondies soient lancées dans les prochaines années », rappelant que Linbin Zhou, chercheur invité au Centre Eau Terre Environnement, et océanographe de carrière, établi en Chine, pourrait étendre ses recherches dans les prochaines années.