par Jonathan Thibault
Au Québec, l’aluminium occupe une place stratégique dans le paysage industriel, avec une production primaire de calibre mondial. Pourtant, lorsqu’il est question de recyclage, le parcours de l’aluminium en fin de vie utile est un casse-tête complexe.
Malgré une longue tradition de recyclage des métaux, le Québec peine à instaurer de véritables boucles circulaires. L’enjeu n’est pas tant de savoir si l’on recycle, « le recyclage, il se fait déjà », rappelle Danielle Coudé d’AluQuébec. L’enjeu est plutôt de trouver comment optimiser la valorisation des rebuts, diversifier les débouchés et réduire la dépendance envers l’exportation, notamment vers les États-Unis.
Un état des lieux à construire
En théorie, l’aluminium est un matériau rêvé pour une économie circulaire. Facile à refondre, il nécessite environ 5 % de l’énergie requise pour produire du métal primaire. Pourtant, à l’heure actuelle, une partie importante de la « scrap » québécoise, qu’il s’agisse de canettes usagées, de pièces d’automobile ou de rebuts de chantier, traverse la frontière du Québec afin d’être recyclée. Les raisons sont multiples : manque d’installations locales spécialisées, dispersion des gisements, complexité des matériaux composites et variations de pureté qui compliquent la valorisation.
« On recycle l’aluminium depuis longtemps au Québec, mais pas autant ni aussi efficacement qu’on le souhaiterait, souligne Danielle Coudé, Responsable des chantiers, Équipementiers et fournisseurs spécialisés, Valorisation et recyclage des rebuts aluminium chez AluQuébec. L’un de nos défis réside dans la méconnaissance des filières de récupération. Par exemple, les électroménagers contiennent souvent des pièces d’aluminium réutilisables, mais encore faut-il que ces appareils soient démantelés correctement, plutôt que simplement démolis. C’est un peu la même histoire avec les emballages légers, comme les sacs de chips, les films d’emballage ou les feuillards en aluminium, qui sont difficiles à trier et à recycler avec nos outils actuels », rappelle celle qui siège avec des transformateurs, refondeurs et recycleurs autour du chantier Valorisation et recyclage, mis sur pied en 2020.
Des filières traditionnelles et des initiatives récentes
Là où la récupération est mieux structurée, c’est dans le domaine des canettes d’aluminium consignées, où la filière est établie depuis quelques décennies. Cette constance fait d’ailleurs figure d’exception. Un centre de conditionnement, fruit d’une collaboration entre Machinex et l’Association québécoise de récupération des contenants de boissons (AQRCB), est présentement en construction à Sorel-Tracy. Ce centre permettra de trier de manière optimale les flux de la consigne grâce à un système entièrement automatisé, réduisant ainsi les taux de contamination et maximisant la valeur de la matière obtenue des technologies de pointe, telles que l’intelligence artificielle et le tri optique. Ce flux qui offrira une préparation plus pointue des contenants en aluminium, vise à réduire les taux de contamination et maximiser la valeur de la matière obtenue.
L’élargissement de la consigne, annoncé pour les prochaines années, devrait également diversifier la gamme de contenants admissibles. Pour Mme Coudé, il s’agit d’une opportunité. « En augmentant le nombre et le type de produits consignés, on espère centraliser davantage de matière, la préparer dans des centres spécialisés, et ainsi faciliter la refonte et la réintégration du métal dans la chaîne de valeur. C’est une occasion de consolider localement certaines étapes du recyclage », indique-t-elle
« C’est un fait : ces dernières années, on voit de plus en plus de joueurs spécialisés apparaître, que ce soit dans la démolition sélective, le tri ou la refonte partielle, précise-t-elle. Les installations de Shawinigan Aluminium, qui opèrent d’immenses fours de refonte, et le futur centre de recyclage de l’aluminium de Rio Tinto, prévu pour 2025, contribueront à optimiser la transformation du métal recyclé au Québec », fait savoir Danielle Coudé.
Une économie circulaire à bâtir pas à pas
Le principal frein demeure la fragmentation géographique, la diversité des rebuts et l’insuffisance d’installations de refonte secondaire. Les fonderies spécialisées, capables de trier les alliages et de supprimer efficacement les contaminants, sont rares. L’accès limité à ce genre d’infrastructures oblige souvent à exporter la matière.
« Nous manquons encore de fonderies secondaires au Québec. La plus proche est en Ontario, mais il n’y en a pas des dizaines. Pour l’instant, les États-Unis demeurent un marché incontournable. Si on pouvait développer ici une véritable industrie de refonte secondaire, on garderait la valeur ajoutée sur notre territoire. Cela créerait des emplois, réduirait le transport, et nous rendrait moins dépendants des fluctuations des marchés internationaux », admet Mme Coudé.
Cette vision d’une économie circulaire ne se limite pas aux considérations économiques. Il s’agit également de repenser la façon dont on conçoit les produits, afin de faciliter leur fin de vie. Danielle Coudé vise notamment la déconstruction sélective dans le secteur du bâtiment, qui permettrait de séparer les composantes d’aluminium avant qu’elles ne soient contaminées par d’autres matériaux, ce qui viendrait augmenter leur valeur de revente et réduire les pertes.
Des projets concrets et de la recherche en cours
AluQuébec s’active pour réunir les acteurs de la chaîne de valeur autour de projets pilotes. « Notre chantier de Valorisation et recyclage cherche à documenter précisément les flux de rebuts, qu’ils proviennent de l’industrie, de la construction ou de la consommation courante. L’idée est de fournir des données fiables afin que les entreprises puissent développer des solutions ciblées. Par exemple, au Saguenay–Lac-Saint-Jean, un projet en cours implique Sotrem, CODERR, Nutrinor et Stobia. On veut tester une mini-circularité sur le terrain et en tirer des enseignements. »
Ce type d’initiative, qui combine expertise industrielle et ancrage local, offre un modèle à suivre pour d’autres régions. L’objectif est d’inventer de nouvelles méthodes de tri, de mise en valeur et de traitement, incluant l’utilisation de technologies avancées, comme la pyrolyse ou la séparation automatisée, optique et intégration de l’intelligence artificielle afin de récupérer le plus d’aluminium possible, y compris dans des rebuts mixtes.
« C’est un travail de longue haleine. On doit tenir compte des tendances du marché, de futurs matériaux qui entreront bientôt dans le circuit, comme les pièces de batteries et les nouvelles composantes de véhicules électriques, et évaluer comment les recycler efficacement. On sait que l’aluminium est recyclable à l’infini ou presque, mais il faut limiter les pertes, réduire les contaminations et s’assurer que chaque alliage retrouve la filière qui lui convient », admet Mme Coudé.
Le rôle des campagnes de sensibilisation
Dans cette équation, le consommateur n’est pas en reste. Des campagnes de sensibilisation visent à mieux informer les citoyens sur le tri, la récupération et la consignation. Le but est d’encourager les gestes simples, comme la gestion du contenu organique, le retour systématique des canettes consignées et, surtout, la prise de conscience que chaque rebut mal orienté finit par se traduire en perte de valeur. « Le geste citoyen est capital. Nous avons encore des lacunes, que ce soit dans nos habitudes de tri à la maison ou dans la compréhension de ce qui se recycle vraiment. Ça évolue, mais il reste du chemin à faire. Les organisations comme Recyc-Québec, Éco Entreprises Québec et d’autres partenaires sont à pied d’œuvre. On essaie aussi, chez AluQuébec, de faire le lien entre tous ces acteurs, afin de favoriser une vision plus large, plus durable », conclut-elle.