par Alexandre D’Astous
La décarbonation de l’économie s’accélère dans plusieurs pays du monde, dont notamment chez nos voisins les États-Unis. Le secteur de l’aluminium québécois pourrait y jouer un important rôle, avec le soutien des gouvernements fédéral et provincial qui serait appuyé d’un plan d’action à la hauteur des objectifs de décabornation ici, au Québec.
C’est l’avis du président-directeur général de l’Association de l’aluminium du Canada (AAC), Jean Simard, qui revient d’un voyage à Dubaï pour la COP-28, une conférence internationale de l’Organisation des Nations unies sur les changements climatiques qui avait lieu du 30 novembre au 12 décembre dernier.
« Le Québec a une longueur d’avance, mais il va avoir besoin d’aide pour la conserver ».
Lors de son séjour à Dubaï, M. Simard a visité l’aluminerie de Emirates Golf Aluminium qui produit 1,2 million de tonnes par année. À titre comparatif, la plus grande production en Amérique se fait chez Alouette avec 600 000 tonnes. « La capacité de production du Moyen-Orient dépasse la production canadienne. Ils font 5 millions de tonnes par année et nous en faisons 3,2 millions ».
Impact de la pandémie
M. Simard rappelle que la pandémie de la COVID-19 est venue briser les chaînes d’approvisionnement à partir de 2020. « En parallèle à cela, il y a le réchauffement climatique qui ajoute de la pression sur les décideurs politiques. Les grands secteurs industriels, dont l’aluminium, doivent emboîter le pas. Dans un contexte de raccourcissement des chaînes d’approvisionnement, les Américains, au début de 2023, ont lancé l’Inflation Reduction Act, leur stratégie que personne n’avait vue venir. Une loi entrée en vigueur en août 2022, qui a pour objectif de réduire l’inflation américaine au travers d’initiatives en matière d’énergie propre et de changements climatiques. Parmi les actions mises de l’avant, ils ont décidé de s’approprier l’enjeu de la décarbonation. Cela a changé toute la dynamique mondiale de la décarbonation ».
D’un marathon à un sprint
Cela a déclenché une course vers des investissements stratégiques. « Nous sommes dans une tempête parfaite d’une très grande complexité. Dans ce genre de tempête, les gagnants sont normalement ceux qui ont le mieux anticipé. Depuis quelques années, nous étions dans un marathon et la stratégie américaine a changé la situation pour en faire un sprint », illustre M. Simard.
En Amérique du Nord, le potentiel de croissance de l’utilisation de l’aluminium se trouve en bonne partie dans le transport, principalement l’industrie automobile, puis la construction et les biens de consommation.
« Aux États-Unis, les constructeurs automobiles basculent de manière accélérée vers les véhicules électriques. Le signal est donné que pour continuer d’avoir accès à ces marchés américains, ça va prendre des produits décarbonés », souligne M. Simard.
Pour tirer parti de cette croissance de la demande dans ce marché, le Canada doit mettre en place un environnement de politique publique facilitant la transition vers un aluminium vert. « La décarbonation passe par l’électrification et à ce niveau, le Québec est avantagé parce qu’aux États-Unis l’industrie de l’aluminium est alimentée par le charbon, le gaz et très peu en hydroélectricité. Ils ont une empreinte environnementale non compétitive. Les Américains consomment annuellement près de 6 millions de tonnes de métal primaire. Ils en produisent 700 000 tonnes. Le Canada est la plus importante source d’importation (63 % de tout le métal importé), suivi par le Moyen-Orient et l’Inde qui s’alimentent via le gaz naturel et le charbon », indique M. Simard.
Décarbonation accélérée
M. Simard estime que le jeu de la décarbonation qui vient de s’ouvrir aura des impacts sur l’industrie de l’aluminium. « D’ici 2030, juste pour répondre à la demande des véhicules électriques projetés par l’administration américaine, ça va prendre un million de tonnes de métal primaire de plus, une hausse de 25 %. C’est sûr que l’aluminium ayant la plus faible empreinte environnementale sera priorisé, s’il est disponible! ».
Outre le Québec, la Norvège et l’Islande sont les seuls présentement à produire de l’aluminium à partir de l’hydroélectricité, en plus de la Russie actuellement exclue des marchés, mais ils visent surtout le marché de l’Europe. « Actuellement, le Moyen-Orient achète de l’énergie plus verte, comme de l’énergie solaire, ce qui leur permet d’amener sur le marché de l’aluminium à faible empreinte de carbone. Nous avons une nouvelle concurrence qui est en train de naître ».
D’ici à 2050, selon les chiffres de la Banque mondiale, la demande pour l’aluminium à faible empreinte carbone pour l’électrification de l’Amérique va être phénoménale. « Les besoins vont être considérables. Il est nécessaire de penser à une stratégie offensive pour le Québec comme producteur de métal à faible empreinte carbone. Le Québec produit 75 % de tout le métal primaire de l’Amérique du Nord. Pour maintenir notre position de tête, ça va prendre de l’énergie disponible à un prix compétitif en comparaison avec nos concurrents du Moyen-Orient, de l’Inde et même des États-Unis, ce qui n’est pas nécessairement le cas présentement », commente Jean Simard.
Zéro carbone
L’enjeu pour l’industrie québécoise de l’aluminium, c’est de passer d’une très faible empreinte carbone à rien du tout. « C’est de passer de deux tonnes d’équivalent CO2, qui sont les émissions du procédé d’électrolyse, à zéro. Pour faire cela, il va falloir changer un procédé industriel qui est utilisé par toutes les entreprises depuis plus de 100 ans, le procédé Hall-Héroult et le remplacer par un procédé qui n’utilisera pas les anodes de carbone qui sont la source d’émission. Pour ça, il faut développer l’anode inerte. Ces activités de recherche et développement se font actuellement au Saguenay dans le cadre du projet Élysis. C’est notre conquête de l’espace, une course contre la montre et notre concurrence vient de la Chine et de la Russie. Nous sommes en tête, c’est un des grands moments dans l’histoire scientifique du Québec, mais il faut garder le momentum jusqu’au fil d’arrivée ».
M. Simard signale que la réussite va dépendre de l’engagement des parties, autant de la part de géants tels que Rio Tinto et Alcoa que des gouvernements du Québec et du Canada.
« Il faut soutenir un effort financier considérable. On vit l’un des plus beaux moments de l’histoire de l’industrie de l’aluminium au Québec. On écrit l’avenir tous les jours parce que notre matériau va être nécessaire