par Isabelle Simard
La productivité, la réduction des coûts et l’amélioration de la qualité des produits sont trois enjeux importants pour les entreprises manufacturières soucieuses de se tailler une place enviable dans leur secteur d’activité. Pour atteindre ces objectifs, Nidine Techno, spécialisée en transformations numériques, en appelle à un virage vers les industries 4.0 et 5.0. Entretien avec son fondateur, Arnaud Hié, qui s’est donné comme mission d’aider les PME à accroître leur efficacité opérationnelle.
Il est originaire du Burkina Faso et se passionne pour les technologies numériques depuis son jeune âge. Arnaud Hié s’est établi au Saguenay-Lac-Saint-Jean après avoir décroché une bourse lui permettant de poursuivre ses études collégiales en télécommunications. Il a ensuite obtenu son diplôme universitaire en génie électrique, suivi d’une spécialisation en génie de l’énergie électrique.
En 2018, il a réalisé un audit industriel 4.0 en partenariat avec le Centre de recherche industriel du Québec (CRIQ), puis il a fait appel à d’autres fournisseurs de services en industrie 4.0. Un an plus tard, en 2019, Arnaud Hié a quitté son emploi d’ingénieur chargé de projets, CPI pour fonder Nidine Techno.
Démocratiser l’industrie 4.0
En langue Turka, Nidine signifie démocratiser, rendre accessible. Dans cette optique, le PDG de Nidine Techno estime important d’identifier les révolutions industrielles ayant précédé l’industrie 4.0 et transformer les méthodes de fabrication des biens au cours des 250 dernières années. En l’occurrence, la mécanisation (industrie 1.0, vers 1780), l’électrification (industrie 2.0, vers 1870), l’automatisation (industrie 3.0, vers 1970) et la mondialisation (industrie 3.5, vers 1980).
« L’industrie 4.0 a vu le jour vers 2010-2011 en Allemagne. On parle alors d’interconnecter et de synchroniser tous les systèmes de production. Actuellement, l’industrie 3.0 est bien implantée dans plusieurs usines. Par contre, les données sont dans des silos qui ne communiquent pas entre eux, c’est-à-dire que les données de production, de gestion, de ventes et même de qualité sont dans des bases de données distinctes. L’industrie 4.0 permet de centraliser toutes ces données et de créer des corrélations pour optimiser la production », explique Arnaud Hié.
L’industrie 4.0 repose sur plusieurs technologies clés qui transforment la manière dont les entreprises fabriquent leurs produits. Parmi ces technologies, l’Internet industriel des objets permet aux machines de communiquer et d’échanger des informations entre elles par le biais de capteurs et de tableaux de bord. Cela permet une surveillance en temps réel, une collecte de données et une prise de décision automatisée, améliorant ainsi l’efficacité et la productivité des processus de production.
L’intelligence artificielle (IA) et l’apprentissage automatique sont d’autres éléments essentiels de l’industrie 4.0. Ces technologies permettent aux machines de traiter les données collectées et d’apprendre à partir de celles-ci. Les systèmes de production deviennent ainsi plus intelligents et capables de s’auto-optimiser, réduisant les erreurs et les temps d’arrêt.
La réalité augmentée (RA) et la réalité virtuelle (RV) sont d’autres composantes importantes de l’industrie 4.0. Ces technologies permettent aux travailleurs d’interagir avec des environnements virtuels ou augmentés, ce qui facilite la formation, le dépannage et la maintenance des équipements.
En 2021, Nidine Techno implante l’industrie 4.0 dans une nouvelle usine de transformation de l’aluminium au Saguenay-Lac-Saint-Jean. « Dans cette usine, un système permettait déjà aux travailleurs de suivre les données de production, mais ils n’avaient pas de système centralisé pour voir toutes les données. On a donc ramené dans une seule interface les données de production, celles du logiciel de gestion de l’entreprise et les données du laboratoire. On a formé les employés et on leur a montré les gains qu’ils pouvaient faire en collectant toutes ces données », raconte Arnaud Hié.
Après quelques semaines d’opération, un premier constat s’impose. « On collectait les données, mais les humains n’étaient pas encore 100 % intégrés à cette nouvelle technologie. C’est alors que l’industrie 5.0 a commencé à prendre forme. Il nous fallait tirer le meilleur parti de l’humain et de la machine », enchaîne-t-il.
Place à l’industrie 5.0
« Dans cette même usine, nous avons introduit le 5.0 afin d’améliorer la collaboration entre les humains et les machines intelligentes. » C’est sur ce principe que Nidine Techno appuie sa mission : connecter les travailleurs et les équipements aux objectifs de l’entreprise.
« Nous avons fait le test dans plusieurs usines et lorsque nous demandons aux membres de la direction s’ils pensent que leurs employés connaissent les objectifs de la compagnie, la réponse est non. Il est devenu essentiel de trouver un moyen de capter l’intérêt de tous les travailleurs », ajoute M. Hié.
Nidine Techno a développé une plateforme web basée sur trois éléments universels : les objectifs, le temps et les résultats. Cette plateforme appelée Nidine Connect permet aux entreprises d’entrer les données issues de leur planification stratégique, les feuilles de temps des employés, de visualiser l’opération des équipements et les résultats de l’avancement des objectifs. L’approche a pour but d’accroître l’engagement, la motivation et la productivité des travailleurs.
« Le 5.0 vient compléter le 4.0. On va plus loin que l’Internet industriel des objets et l’enjeu de productivité. On tient compte du bien-être de l’humain dans l’équipe de travail. Les gestionnaires de la compagnie définissent les objectifs et les employés ont accès à la plateforme pour suggérer des moyens et suivre au quotidien l’évolution de l’atteinte de ces objectifs. »
Des gains significatifs
Les avantages des industries 4.0 et 5.0 sont appréciables, constate l’homme d’affaires, notamment en termes d’efficacité, de réduction des coûts de production, d’amélioration de la qualité des produits, de motivation et de rétention de la main-d’œuvre.
« Dans le cas de l’usine dont je vous parlais précédemment, l’augmentation du taux de conformité des produits était un objectif à atteindre. En deux mois seulement, avec la participation des membres de la haute direction et celle des employés de l’entreprise, le taux de conformité est passé de 75 % à 90 %. »
Par où commencer?
Selon Arnaud Hié, plusieurs entreprises québécoises manifestent un intérêt pour l’industrie 4.0, mais le concept demeure toujours abstrait pour certaines d’entre elles qui ne savent pas par où commencer.
« Comme premier pas à faire, je suggère une rencontre exploratoire durant laquelle nous établissons le processus de production, de la commande jusqu’à la livraison. Pour chacune des étapes, nous identifions les données qui sont collectées. Nous faisons une « road map » de toute la chaîne de production, allant de la vente, et même de la prospection, jusqu’à la livraison. Par la suite, nous regardons ensemble les opportunités d’amélioration. »
Identifier les objectifs de l’entreprise à court, moyen et long terme et voir dans quelle mesure la technologie peut participer à l’atteinte de ces objectifs. Voilà le mandat que se donne Nidine Techno en intégrant tous les outils nécessaires pour optimiser les processus de l’entreprise.
Mais avant toute chose, tient-il à souligner, il est essentiel que l’entreprise définisse ses objectifs SMART, c’est-à-dire spécifiques, mesurables, atteignables, réalistes et temporels. M. Hié évoque un projet qui est actuellement en cours avec la participation financière du Centre québécois de recherche et de développement de l’aluminium (CQRDA). Grâce au programme Fournisseurs-clients | Soutien aux projets innovants en mode partenariat équipementiers/clients du CQRDA, Nidine Techno a amorcé le processus d’implantation des industries 4.0 et 5.0 dans une seconde usine de transformation de l’aluminium.
« Un des objectifs clairement définis par cette seconde usine de transformation de l’aluminium est d’augmenter sa production de l’ordre de 10 % à 20 %. Nous terminons la première étape consistant à interconnecter les données de la production, celles de la gestion de la qualité et du logiciel de gestion de l’entreprise. Cela nous permettra de faire des corrélations. Par exemple, on pourra dire : il y a deux semaines on a performé plus que jamais. Que s’est-il passé? L’objectif sera de reproduire cette performance de façon constante et à long terme. »
S’il existe aujourd’hui sur le marché plusieurs plateformes 4.0, le défi de connecter les travailleurs aux objectifs des entreprises est un enjeu clé pour Nidine Techno. Aux yeux du jeune entrepreneur, si les machines sont de plus en plus intelligentes, elles resteront des outils au service de l’humain.