par céline normandin
Alain Desrochers multiplie les projets avec l’aluminium et la créativité comme points d’ancrage.
Monsieur Desrochers nous accueille dans son bureau de l’Université de Sherbrooke, situé dans le pavillon J.-Armand-Bombardier. Le haut des étagères est couvert de pièces d’aluminium pliées, extrudées ou encore assemblées entre elles de différentes manières, en témoignage des travaux qui ont cours afin d’explorer les potentiels de l’aluminium.
C’est un homme très occupé. En plus de ses tâches d’enseignement, il est titulaire, depuis 2011, de la Chaire du Conseil de recherches en sciences naturelles et en génie du Canada (CRSNG) en conception pour l’aluminium. Il est également le chercheur principal du programme ATLAS d’allègement structural, un partenariat avec Bombardier Produits récréatifs (BRP) et le Centre de technologies avancées BRP – Université de Sherbrooke (CTA). Il siège aussi au conseil d’administration du Centre québécois de recherche et de développement de l’aluminium (CQRDA). Il avoue ne pouvoir enseigner que deux cours, mais il supervise en contrepartie de nombreux étudiants à la maîtrise et au doctorat.
À titre de chercheur, M. Desrochers se trouve à un carrefour. Le programme de la Chaire du CRSNG en conception a été aboli et celle-ci prendra fin en mars 2023. Quant au programme ATLAS, il se termine à la même date, mais le chercheur a déjà en tête des idées d’orientations de recherche exploitant les études faites sur les extrusions.
L’allégement des véhicules avec BRP Bombardier
ATLAS est un terreau fertile pour la RD appliquée. Le programme, lancé en 2017, vise l’allégement des structures pour l’ensemble des produits de BRP Bombardier. C’est en modifiant le design pour optimiser les formes et ainsi mieux répartir les efforts que les véhicules sont allégés, explique M. Desrochers. « En étant moins lourds, les véhicules ont des suspensions moins imposantes et le moteur est aussi moins puissant pour avancer : tout est relié. » Les techniques d’assemblage ont été étudiées, depuis le début, afin de déterminer les plus pertinentes, et ce, en passant du laser au rivetage. De la même manière, l’équipe de M. Desrochers a analysé le comportement des véhicules pour identifier les charges, optimiser les formes afin de minimiser la masse et vérifier la durée de vie du véhicule. « Avec le CTA et le BRP-UdeS, on va chercher des démarches innovantes qui s’appliquent à l’ensemble des produits dans l’usine. »
Faire avancer l’utilisation de l’aluminium
La Chaire a, quant à elle, un objectif de visibilité et de formation des étudiants dans le secteur de l’aluminium. Une grappe industrielle y est associée avec des partenaires comme le CRSNG, le ministère de l’Économie, de l’Innovation et de l’Énergie (MEIE), l’Association de l’aluminium du Canada (AAC), le Centre de recherche sur l’aluminium (REGAL), Alcoa Innovation et le CQRDA.
Plus spécifiquement, la Chaire vise à développer et à diffuser de nouvelles connaissances en conception de produits, au lieu de simplement réaliser des prototypes, en intégrant des notions de production et de fiabilité. Elle est au service des partenaires et des entreprises pour la réalisation de projets innovants en lien avec le développement de produits d’aluminium.
C’est aussi une occasion de sortir de sa zone de confort et des sentiers battus, selon le chercheur. « L’aluminium a un aspect créatif que j’aime bien. Je m’étais donné comme défi de faire de la transformation de l’aluminium vers des produits finis. Dans l’industrie du bois, on a des produits finis comme du plywood et des formes standards qu’on peut utiliser de manière générique. Je me suis demandé pourquoi on n’aurait pas de produits comme ça avec l’aluminium. »
Panneaux, clips et pylônes
Depuis 2015, les travaux ont permis de se pencher sur des modèles de panneaux structurels, conçus à partir d’extrusions et de métal en feuille, qui pourraient être utilisés dans le cas de plancher d’autobus ou de bennes. Le fabricant d’autobus Novabus a été approché avec ce concept, mais sans aboutir à une avenue commerciale. Monsieur Desrochers espère que des démarches chez Canam-Manac pour utiliser ces panneaux déboucheront sur un projet concret. « C’est un défi de convaincre des gens d’investir de l’argent avec des universitaires pour réaliser des projets. »
Des concepts de clips, ou crochets métalliques, ont également été développés dans les dernières années et d’autres travaux sont en cours pour explorer les possibilités pour l’assemblage de panneaux, ce qui pourrait mener à des procédés plus rapides et plus esthétiques, et ce, sans devoir faire appel à des gabarits de montage encombrants et complexes.
Par ailleurs, M. Desrochers fait partie d’une équipe ayant reçu une subvention de 1,16 million de dollars provenant, entre autres, d’Hydro-Québec et de Rio Tinto. Le volet impliquant le chercheur se penchera sur l’utilisation de l’aluminium, au lieu de l’acier, pour fabriquer les pylônes avec la conception de nouveaux types de pylônes, des analyses environnementales du cycle de vie et une méthodologie de conception pour ces nouvelles structures.
Un art japonais revisité
Ces jours-ci, le chercheur étudie des pistes afin de donner de nouvelles orientations au programme ATLAS. Une de ces idées est d’allier l’art de l’origami et la géométrie afin d’explorer les capacités de l’aluminium. L’origami a prouvé que les possibilités sont quasi illimitées lorsqu’il s’agit de réaliser des formes géométriques. L’idée de base serait de créer directement des formes plus complexes sans avoir recours à la conception de matrices d’emboutissage, une étape essentielle dans la fabrication de panneaux de carrosserie, indique M. Desrochers. Sauter cette étape permettrait d’économiser des sommes considérables, en plus de pouvoir examiner davantage de possibilités, puisque les coûts limitent actuellement cette démarche.
Comme quoi, avec 36 ans de carrière déjà, l’heure de la retraite n’a pas encore sonnée pour ce passionné de recherche.