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Par Céline Normandin

Jamais de mémoire récente, la science et l’innovation n’ont-elles occupées une place aussi centrale dans les conversations que dans les dernières [deux] années alors que le monde est plongé en pleine pandémie. Encensée, critiquée, la science a dû se défendre et mieux se faire connaitre tandis que l’innovation a été mise en doute ou célébrée. Et pourtant, alors que la vaccination offre une sortie de crise, d’autres problèmes se pointent, exacerbés par la pandémie. Les solutions, résident-elles dans la science et l’innovation, les deux mêmes moteurs qui ont offert un espoir depuis 2020 et si oui, le Québec est-il bien placé pour répondre aux défis auxquels il fait face?

C’est par une magnifique journée de septembre [2021] que la rédaction de Al13 a rencontré Rémi Quirion, Scientifique en chef depuis dix ans, ainsi que Lus Sirois, nommé depuis un an Innovateur en chef du Québec. La rencontre a lieu dans le bureau de M. Quirion qui surplombe la rue Sherbrooke, non loin du quartier des spectacles, haut lieu de la création et de l’expression de la culture québécoise.

Portrait de Rémi Quirion et de Luc Sirois pour le magasine AI13 à Montreal le 24 Septembre 2021.
Photo: Dominick Gravel

Plus tôt cette journée-là, une foule d’environ 15 000 personnes a défilé sous les fenêtres du scientifique en chef. La population, et les jeunes surtout, sont mobilisés sur les enjeux des changements climatiques et de l’environnement.  Ce thème a été abordé dans la conversation, tout comme le rôle de l’innovation et de la science dans les entreprises et les entrepreneurs, la société et l’éducation, le vieillissement de la population, la notion de risque et la place de l’ambition.

C’est quoi l’innovation, à qui ça s’adresse et pourquoi on en fait?

Luc Sirois : L’innovation, je la focalise beaucoup sur la création de produits et de services nouveaux, qui ont une valeur et qui peuvent être commercialisés ou mis en société. Mais c’est une des définitions de l’innovation parce que pour plusieurs, ça veut dire de l’innovation de procédés, des façons de faire, des innovations organisationnelles. Le 4.0 et de la transformation des industries, c’est une forme d’innovation. Si on adopte des technologies existantes et qu’on les déploie pour une entreprise, ça représente souvent une révolution parce que ça modifie leur façon de faire, leur définition du travail et les rôles et responsabilités des gens. Ce n’est peut-être pas inventé, mais ça fait partie de l’innovation.

Ça nous amène à l’innovation sociale. Un exemple dans le domaine de la santé, qui nous est cher, c’est par exemple des façons de mieux traiter les patients, de faire de la prévention, de s’assurer que le gens ne soient pas malades. Je donne souvent l’exemple de la télémédecine. Ça semble super techno : tu peux consulter des médecins à distance, l’intelligence artificielle donne des diagnostics, mais tout ça dans le fond, ce n’est pas de l’innovation technologique, mais bien de l’innovation sociale.

Rémi Quirion : Pour moi, la plus grande innovation sociale au Québec depuis 25 ans c’est les garderies. L’impact des garderies est immense, mais les difficultés de chercheurs comme Camille Bouchard et Pierre Fortin ont été nombreuses au départ. Et là, tout le monde en veut, tout le monde copie le Québec. À court terme, ça semblait coûter très cher mais les effets à moyen terme, c’est vraiment fabuleux.

LS : La recherche a eu un rôle important dans les centres de la petite enfance. Les recherches de l’Institut nationale de la recherche scientifique (INRS) ont contribué à définir les concepts.

RQ : Une autre très grande innovation sociale pour moi au Québec, c’est les cégeps. Les cégeps ont été une innovation sociale très importante et ça a changé la façon de faire. C’est unique et c’est de là que sont nés les Centres collégiaux de transfert de technologie (CCTT).

LS : Mais c’est maintenant un tremplin pour faire d’autres innovations. Les CCTT, c’est des boîtes de recherche pour aider les entreprises et les milieux pour s’approprier les technologies. Et ça a permis d’avoir des cégeps ancrés dans le territoire et dans les mœurs des gens.

RQ : C’est comme la création du réseau des Universités du Québec qui ont permis de démocratiser tout ça d’aller dans les régions. De Montréal ou de Québec, on le voit moins mais quand tu vas dans les régions, l’impact que ça a eu, ça été vraiment fabuleux, ça rapporte énormément.

Au Québec, on essaie de rapprocher ces deux mondes là. Les chercheurs ont des idées et ça prend un traducteur. Dans certains cas, la même personne peut le faire mais ce n’est pas si fréquent parce que ce ne sont pas nécessairement les mêmes qualités que ça prend. Il faut être capable de prendre des résultats de recherche qui sont un peu wow, mâcher ça pour que ça devienne vraiment de l’innovation et après, que ça devienne un vrai produit qui a une valeur ajoutée. Pour moi c’est un peu ça l’innovation.

LS : C’est une question d’innovation de rupture. C’est sûr qu’à la base il y a de la recherche fondamentale qui pourra un jour passer à la recherche appliquée. Par exemple, réussir à intégrer une caméra miniature dans un téléphone, c’est une innovation de rupture. Ça prend une immensité de recherches qui ont permis qu’un jour, on puisse arriver à faire ça. Une innovation de rupture, ça ne s’invente pas à petits pas, c’est des grandes découvertes qui sont basées sur complètement autre chose.

En fait, vos rôles sont complémentaires…

Rémi Quirion a été nommé Scientifique en chef du Québec en 2011.
Photo: Dominick Gravel

RQ : Il y a beaucoup de mélange, c’est dur de dire que ton rôle s’arrête ici et moi là et c’est normal que ce soit comme ça.

LS : Moi, je vais me concentrer auprès des entreprises, les motiver à faire de l’innovation, les ouvrir à faire de la recherche à l’interne avec le milieu académique et aller vers de la recherche fondamentale. On se rejoint dans le milieu parce qu’on veut connecter ces univers-là, celui de la recherche et celui de l’industrie.

RQ : C’est aussi ne pas avoir peur l’un de l’autre, surtout pour les petites compagnies parce qu’elles sont en mode survie. Il y a eu certains pour qui voir venir un chercheur ou un étudiant veut dire qu’ils vont nous faire perdre notre temps. À l’inverse, les gens disent que ça ne les intéresse pas de perdre leur temps avec une petite compagnie. Il faut s’apprivoiser et mélanger ces cultures-là.

LS : Chez les dirigeants, il y a toute une culture à développer. Quand on fait de la recherche avec le milieu académique, il faut voir ça comme autre une autre manière d’organiser les choses. Avoir un portfolio, c’est ça le mot qui est important : tu sèmes à long terme, tu as plusieurs projets et puis à un moment, donné tu avances, tu continues sur certains, tu laisses de côté les autres.

On a parfois l’impression que les entrepreneurs hésitent à recourir à des chercheurs pour régler des problèmes et les utilisent en dernier quand ils sont acculés au pied du mur. D’où vient cette difficulté selon vous?

RQ : Au niveau de la culture scientifique, il y a une certaine base, mais il y a du travail à faire au Québec, ce qui est vrai aussi ailleurs au Canada. Il faudrait qu’il ya ait de meilleures bases en science, dès le plus jeune âge et que ça fasse partie du cursus d’éducation au primaire et au secondaire et qu’on continue après pour donner le goût de la science. Il faut aussi être capable de la lire et de l’analyser un peu. Avec ça, ce n’est pas garanti mais c’est une des façons de combattre la désinformation.  L’éducation, c’est une richesse pour tout le monde mais du côté science, il faut vraiment donner plus. On a vu avec la pandémie beaucoup plus de chercheurs et de scientifiques sur la place publique et on a vu récemment dans les écoles et les facultés de sciences beaucoup plus d’applications.

M.Sirois, vous avez déjà comparé votre rôle à celui d’un motivateur en chef ou d’un capitaine d’équipe. Comment est-ce que ça se traduit sur le terrain?

Luc Sirois est innovateur en chef du Québec, directeur général du Conseil de l’innovation du Québec et président fondateur du conseil d’administration d’Axelys, la société de valorisation de la recherche publique au Québec.
Photo: Dominick Gravel

LS : Pour les autres innovateurs, oui, mais là on parle d’inspirer aussi les jeunes et le grand public. Rémi fait beaucoup d’effort là-dessus. Avoir des exemples comme la Québécoise Farah Alibay, une ingénieure en aérospatiale qui pilote un robot sur Mars, combien de carrières de femmes ingénieures ça déclenche vous pensez d’avoir une ingénieure cool, qui en parle avec passion! À l’INRS, on a commencé à mettre en lumière les travaux des chercheurs sous un angle grand public. Ça plante des graines, comme le festival Eurêka. Mais il faut faire plus que ça.

Ça demeure du parascolaire… il faut davantage intégrer la science, la créativité et l’innovation dans l’éducation. C’est encore une question de culture.

RQ : On a fait une tournée des facultés d’éducation au Québec et on suggéré des choses à gauche à droite, mais on m’a dit « occupe-toi pas de ça ». Un enseignant qui aimerait enseigner les sciences abouties à enseigner l’éducation physique ou la littérature. Il y a beaucoup de choses à faire de ce côté-là.

LS : Beaucoup d’innovation sociale à faire là.

RQ : En effet

LS : Mais si on parle de culture scientifique, et ça c’est essentiel, on réfère à des notions de créativité, d’essais et d’erreurs, d’exploration. Mais le système d’éducation est fait pour que tu fasses le moins d’erreurs possibles, sinon tu es puni, tu es vu comme moins bon. Mais ça n’aide pas du tout l’esprit d’innovation ou la capacité de gérer l’innovation parce que l’innovation, c’est gérer des essais, et statistiquement, il y a toujours dix, cent fois plus d’échec que de réussites. C’est normal et on doit apprendre à gérer en conséquence. Dans le sport, il y a un but compté pour dix tirs au but? Et pourtant, on lance au but quand même. On crée des occasions, on apprend de nos erreurs, on fait des essais différents. Tout le monde comprend ça dans le sport…  Il faut développer cette culture chez les dirigeants, et ça devrait commencer à l’école.

Mais pour des entrepreneurs, ça peut être difficile de leur dire « tu dois faire des erreurs et que ça va prendre du temps avant de trouver quelque chose ».

LS : On pense qu’être entrepreneur, c’est être un créatif et se lancer dans le vide, mais les vrais bons entrepreneurs savent gérer les risques et finir gagnants. Ils mettent leur argent, hypothèque leur maison, ils le font intelligemment. Les entrepreneurs qui ont du succès, c’est vrai qu’ils voient loin et qu’ils ont des rêves, mais c’est surtout ceux qui vont gérer l’ensemble des risques, les penser, les prévoir, les contrecarrer. Mais tout ça, ce n’est pas enseigné à l’école. Comme disait Charles Deguire de Kinova Robotics, on sacrifie nos enfants et ensuite il faut les reformer. L’école auparavant, c’était pour former des gens qui travailleraient dans l’industrie. Aujourd’hui, l’industrie c’est être créatif, c’est résoudre des problèmes, c’est avoir des connaissances pour trouver des solutions. C’est toute une autre façon d’être qui n’est pas toujours enseignée.

RQ : Des fois on dit des créatifs qu’ils sont moins bons, mais ce n’est pas vrai. On le voit quand on donne aux jeunes un peu de liberté et un encadrement moins carré. On a essayé de rejoindre les jeunes qui n’écoutent pas la télé, ni la radio, ni les journaux, des jeunes de 15 à 30 ans en finançant des initiatives avec une enveloppe de 5000 $, et c’est fabuleux ce qu’ils ont réussi à faire.

LS : Des occasions comme ça, c’est comme une fleur ratatinée qui n’est pas encore morte, que tu arroses et qui s’épanouit, mais qu’après tu renvoie dans le noir…

On assimile souvent la culture d’innovation et la culture d’entreprenariat. C’est des cousins mais ils sont distincts. La culture d’innovation c’est être capable de trouver des problèmes, chercher de la connaissance et de les résoudre, des fois de manière créative ou en créant carrément de nouvelles choses. L’esprit d’entreprenariat, c’est être capable de démarrer une organisation. Quand j’étais ingénieur, c’était pour devenir un créateur de produits. Quand je suis devenu entrepreneur, ce n’était pas pour créer un produit, c’était pour créer une organisation qui crée des produits… et les vendre!

Il y a quelque chose qu’on doit nommer c’est l’intraprenariat. Ce n’est pas nécessaire de tout le temps démarrer une nouvelle entreprise quand on a de l’initiative. Ça peut aussi vouloir dire avoir l’esprit d’initiative à l’intérieur de l’organisation pour créer des choses, des programmes, des départements, des nouveaux produits ou des nouveaux services. Résoudre des problèmes à l’intérieur de l’organisation, c’est beaucoup plus parent avec l’esprit d’innovation que juste l’entreprenariat.

Rémi Quirion  a contribué à créer la fonction de l’Innovateur en Chef du Québec, et le Conseil de l’innovation du Québec pour prendre le relais et porter la passion de l’innovation dans l’industrie, la valorisation, l’entrepreneuriat, l’innovation sociale. 
Photo: Dominick Gravel

Comme on a beaucoup de petites entreprises au Québec, est-ce que la petitesse des entreprises est un obstacle à l’innovation ou encore l’accès à la science?

RQ : Je pense qu’il faut leur donner le goût d’aller plus loin

LS : Quand t’es une petite entreprise, c’est sûr que c’est tough, tu n’as pas nécessairement les liquidités.

RQ : Dans le petit village d’où je viens, quand quelqu’un avait réussi et vivait relativement bien, il prenait un rythme et ne visait pas d’aller plus loin. D’aller plus loin, c’était peut-être ce qui manquait à la génération d’avant.

Par contre, ce n’est pas tout le monde qui a envie de devenir une grosse entreprise.

RQ : La base même de l’entreprenariat n’était pas encouragée. Le père ne disait pas à ses enfants « tu devrais penser à d’autres choses ». Toutefois, il y a des exemples d’entrepreneurs qui ont vu plus loin et qui on sut se transformer et créer de la richesse qui profite aux générations d’aujourd’hui.

Est-ce qu’on investit suffisamment en R&D au Québec ? Selon les chiffres de l’OCDE de 2018, le Québec dépense 2,6 % par année de son PIB.

*Selon les dernières statistique de l’OCDE de 2020, on constate une augmentation de 0,12 % (pour 2,72 %) des dépenses annuelles sont investit en R&D au Canada.

LS : Si on se compare à des pays comme la Finlande, l’Allemagne ou les États-Unis, on se débrouille bien.

QR : Pour la recherche publique, on est les premiers au Canada en termes de pourcentage. Le Canada lui-même a diminué dans les dernières années parmi le G7 et se retrouve dernier. Par contre, je dis toujours que je ne veux pas me comparer avec les derniers, mais avec les premiers. Du côté des entreprises, il n’y a pas beaucoup d’investissements, que ce soit au Canada ou au Québec. On n’a pas ici de grandes entreprises comme en Suède avec des Nokia de ce monde qui sont de grands donneurs d’ordres. Ça n’aide pas.

LS : Prenez le classement des 500 grandes entreprises du journal Les Affaires et vous allez comprendre pourquoi on ne fait pas beaucoup de R&D.

Est-ce que ça veut dire que le manque d’investissement ici est une question d’environnement ou bien les entrepreneurs se fient à la faiblesse du dollar canadien pour compétitionner à l’international? 

LS : Si on fait un portrait global du Québec, on obtient une moyenne qui ne permet pas de comprendre ce qui se passe : il faut regarder le tissu industriel en détail. Au Québec, dans le tissu industriel du top 500, tu as des entreprises de distribution, des succursales et des filiales locales. Costco se classe dans le top 500 avec plus de 7500 employés au Québec. Néanmoins, est-ce qu’une filiale de distribution fait de la R&D ici? Il faut jouer sur les deux axes. Il faut se demander combien de grandes entreprises innovantes donneuses d’ordres et créatrices on veut avoir chez nous. On veut peut-être commercer à faire grandir nos entreprises en se demandant combien de R&D elles font. La question était « est-ce qu’on peut les attirer »? La réponse c’est qu’il faut les bâtir. Ce n’est pas de simples filiales de distribution qui vont faire ça.

Gilles Déry, président-directeur général du CQRDA, en compagnie de Luc Sirois et de Rémi Quirion pour la Grande entrevue de décembre 2021. Photo: Dominick Gravel

RQ : Même chose pour Amazon par exemple.

LS : Je veux revenir sur la question des PME et de l’investissement. Quand on a fait une tournée des régions, il y en a certaines qui sont intensément industrieuses et ambitieuses au niveau de la création de produits et de l’exportation, d’autres le sont moins. Mais ça tend à changer. Il y a un niveau d’ambition que les jeunes amènent en disant « j’ai envie de faire autres choses, de faire différent et d’en faire plus ». 

Comment on fait quand on est en situation de pénurie de main-d’œuvre, qu’on manque de tout et que la pandémie a encore amplifié la situation?

RQ : Ça on le savait avant la pandémie. Le vieillissement de la population, on le sait depuis 20 ans qu’on arriverait dans ce mur-là. On a mal réagi et il faut pallier tout ça en allant du côté innovation pour la robotisation et l’automatisation. On n’aura pas le choix, sinon on ne sera pas capable.

Comment fait-on pour s’attaquer à des problèmes comme les changements climatiques, qui sont tout aussi pressants que le vieillissement de la population? Comment la science et l’innovation peuvent aider?

RQ : Le vieillissement de la population, on le voit et on connait tous des gens dans notre entourage qui sont touchés. Les changements climatiques, c’est plus un peu plus difficile. Il faut le rendre concret, ce que ça signifie et on travaille là-dessus. La pandémie par exemple était très concrète. On parle au politique et comme c’est à long terme, ce n’est pas simple…Mais ça tend à changer.

LS : Si tu te fies seulement au long terme, le cerveau n’est pas fait pour appréhender ça. Il faut mettre un prix sur le coût environnemental. Le monde de la finance et de l’assurance commence à le faire. De plus en plus, tu ne pourras plus te financer ou ça va te coûter plus cher si tu ne considères pas l’impact climatique. Ensuite, vous avez les conséquences de non-respect avec l’empreinte au carbone et là, tu crées un cadre de référence systématique où ça devient normal de s’y soumettre parce que tout le monde le fait. Aussi, les entreprises n’ont pas de données sur leur empreinte carbone. Elles ne peuvent donc pas prendre de décisions. Quand tu as un tableau de bord quantitatif, tu peux voir la situation concrètement et réagir.

RQ : Je compte beaucoup sur les jeunes pour bousculer les plus vieux.

Est-ce que les changements climatiques influencent la manière dont le scientifique en chef et l’innovateur en chef conseille le gouvernement?

RQ : Oh oui! Maintenant mon message c’est les objectifs de développement durable (ODD), les approches en EDI (équité, diversité et inclusion) et ces orientations-là. C’est sûr que le message doit tenir compte de ça.

Céline Normandin, pigiste pour le magazine AL13.
Photo: Dominick Gravel

Est-ce que le message passe?

Au point de départ, et c’est peut-être une question d’apprentissage, il ne se passait pas grand-chose mais les choses changent. Comme par exemple les recommandations du BAPE au Saguenay, ce n’était pas évident.

LS : Ce ne sont pas des gens dogmatiques, donc l’inertie qu’on observe, c’est l’inertie humaine. Les choses se mettent en branle et on avance, mais comme dans toute situation humaine, le changement prend du temps.

RQ : Des changements, on en observe avec par exemple la politique d’agriculture durable et l’exploration minière plus verte

LS : Ça créé des opportunités. Pour chacun des domaines, il y a des secteurs où on doit réduire l’émission de carbone. Il y a une transformation et de la R&D qui sont nécessaires. On peut être ceux qui vont attendre et acheter ces innovations des autres, mais on peut être aussi ceux qui vont être les premiers.

Je vois ça d’une manière très pragmatique. Quand tu consultes les entreprises et tu leur demandes ce qui les préoccupe, ces questions ne ressortent pas. Ils sont tellement pris dans leurs défis quotidiens, la pénurie de main-d’œuvre que le développement durable ne sort pas comme une priorité. 

C’est une question de vision?

LS : Il y en a peu qui ont une vision. Pourquoi je dis ça, parce c’est un peu comme les décideurs publics : ils comprennent l’importance, mais il y a tellement d’urgences dans leurs mains que ça peut être difficile de tout faire en même temps.

RQ : Il faut traduire ça par des gestes très concrets. On a un avantage, l’électricité ne coûte pas cher ici.

LS : Il ya une question de création de richesse économique : on va être les premiers à amener ces solutions là parce que le reste de la planète va les acheter. Il faut les faire alors être aussi bien les premiers. Rémi le fait et de manière très importante. C’est lui qui se fait le porte-parole des jeunes. Pour eux, c’est la priorité, ils la vivent. C’est pas seulement une question de principe. C’est juste que les plus vieux ne l’ont pas encore intégré comme eux.

Est-ce que c’est important de faire de la recherche ou de l’innovation en français?

RQ : Dans les laboratoires, ça se fait en français ou en anglais et c’est correct. Il faut voir du côté de la diffusion. À chaque mois, on a la publication du mois dans le secteur de la santé, du génie et des sciences sociales ou des sciences humaines. Ça sert beaucoup aux professeurs d’universités d’avoir une revue québécoise dans certains domaines comme la santé et ça marche très bien.

LS : Ça nous amène sur l’importance de l’innovation en culture. Personnellement, je trouve ça alarmant que nos jeunes ne soient plus connectés à nos médias de masse. Ça veut dire quoi sur la culture québécoise quand ton référent commun c’est des vidéos de Tiktok? Comment tu gardes la connexion comme société?

RQ : Le monde est petit. Les adolescents et les jeunes adultes, leurs référents c’est souvent la musique américaine, la littérature américaine et ils ne connaissent pas par exemple les chanteurs québécois.

Au quotidien, Luc Sirois poursuit sa mission de mobilisation des écosystèmes existants, tout en ayant une attention particulière pour la jeunesse qu’il souhaite dynamique et visionnaire.

LS : Cette question-là mérite des innovations sociales importantes et de faire l’objet de recherches pour comprendre comment les sociétés évoluent, comment elles se donnent des codes et comment tu créés des codes qui sont forts. Nos chercheurs doivent nous apporter de la lumière là-dessus pour l’avenir. Ce ne sera peut-être dans dix ou vingt ans, mais c’est vraiment des choses qu’on doit comprendre pour être capable de développer des éléments qui vont nous rattacher.

Ma musique maintenant c’est par Spotify ou Apple Music. Essaye de trouver des chanteurs québécois…ils sont là si tu connais son nom ou le nom précis ou la chanson, mais il n’y a pas de niveau de découverte ou de sous-culture dans l’ensemble. C’est impossible.

C’est comme vous, vous avez décidez de revenir ici et de travailler au Québec après être allé étudier à Harvard à Boston. Vous auriez pu décider de rester aux États-Unis.

LS : Les muses étaient d’une force hallucinante! Il y a 25 Canadiens qui vont au Harvard Business School par année et il y en a seulement un ou deux qui reviennent. Quand tu es là, tu tombes dans un autre univers de possibilités, de richesses…

Est-ce que cela veut dire que le Québec est trop petit et ne voit pas assez grand ou il faut vouloir revenir?

LS : Il faut vouloir revenir. On parlait de créer des emplois plus tôt. Il faut créer maintenant des champions économiques d’ici qui vont être des donneurs d’ordres pour les PME. Il faut donner le message: vous, vous bâtissez des empires, vous allez être ceux qui vont développer et acheter les autres, comme des plans de guerre, de domination!

Est-ce que c’est une question de capital de risque?

C’est sûr que ça prend du capital mais cela, on en a de plus en plus. On est vraiment bon. On se démarque de plus en plus et relativement aux autres, on est dans le peloton de tête.

Mais comment on fait pour que nos startups ne se fasse pas acheter ou déménagent?

LS : Dans le passé, on ne pouvait pas imaginer lever des capitaux et avoir le levier nécessaire pour acheter des compétiteurs et grossir. On n’avait pas la culture, pas d’exemple, pas de capital et on avait des investisseurs qui voulaient vendre. L’accès au capital fait une grosse différence. Pour les jeunes entrepreneurs aujourd’hui, il existe maintenant des façons de structurer la finance pour que ce soit faisable.

Dans les données du Conference Board, on montre la part du PIB qui vient des nouvelles entreprises dans l’économie. Au Québec, ça reste bas. Il y a peu de nouvelles grandes entreprises qui deviennent de vrais contributeurs au PIB. C’est tout le temps les mêmes. Ça, c’est à changer.

La Grande entrevue de décembre 2021 avec Luc Sirois et Rémi Quirion, accompagnée de Gilles Déry et dirigée par Céline Normandin. Photo: Dominick Gravel

En terminant, auriez-vous un message pour les entrepreneurs?

RQ : Soyez audacieux, ayez de l’audace et l’ambition!