Par carol néron
Cette entrevue a été publiée en juin 2022 dans le cadre de l’édition papier « spécial 30 ans » d’AL13.
Le Centre québécois de recherche et de développement de l’aluminium (CQRDA) a ouvert les festivités de son 30e anniversaire en juin 2022. À cette occasion, le magazine AL13 a réuni autour d’une même table des personnalités, ayant participé activement à sa fondation, et des représentants actuels de la grande industrie, de la petite et moyenne entreprise (PME) et de l’enseignement supérieur. L’événement a permis de faire un retour sur l’évolution de l’organisme et du rôle qu’il a joué et qu’il continue de jouer au sein d’un secteur d’activité qui a connu de nombreux bouleversements au cours des dernières décennies.
Émery P. LeBlanc, qui fut jusqu’en 2001, année où il a pris sa retraite, président du Groupe Métal primaire chez Alcan, et l’homme d’affaires Pierre Bouchard, de la Société des Technologies de l’Aluminium du Saguenay (STAS), se sont joints au groupe de discussion. Tous les deux ont joué un rôle de premier plan au sein du comité mis sur pied au Saguenay–Lac-Saint-Jean et qui fut à l’origine, il y a maintenant 30 ans, de la création du CQRDA.
Ghislain Samson, recteur actuel de l’Université du Québec à Chicoutimi (UQAC), et Jean Simard, président et chef de la direction de l’Association de l’aluminium du Canada (AAC), ont aussi pris part aux discussions en compagnie de Dominique Bouchard, président du conseil d’administration du CQRDA de 2015 à 2023 et de Gilles Déry, PDG de l’organisme.
Pour l’histoire, il est important de noter qu’en plus de Pierre Bouchard (STAS) et d’Émery P. LeBlanc (Alcan), trois autres acteurs ont joué un rôle majeur, en 1992, dans la création du CQRDA. Il s’agit de Gérard Arguin, recteur de l’UQAC de 1974 à 1983 et de 1991 à 1993; de Christian Van Houtte, qui fut pendant 18 ans président de l’Association de l’industrie de l’aluminium du Québec (AIAQ), puis de l’Association de l’aluminium du Canada (AAC); de Jacques Vézina, à l’époque directeur général du Cégep de Jonquière; de Lucien Gendron, vice-recteur aux finances de l’UQAC au moment de son implication.
Une présence nécessaire
Émery P. LeBlanc rappelle qu’en 1992, invité à se joindre à un groupe de travail dont la mission était de mettre sur pied un organisme devant favoriser l’apparition d’un créneau spécialisé dans la 2e et la 3e transformation de l’aluminium, tout en explorant de nouvelles avenues de recherche, il a eu une réaction de surprise : « Je me disais que ma compagnie, Alcan, avait déjà son propre centre – Centre de recherche et développement Arvida (CRDA); de plus, elle venait d’inaugurer une nouvelle usine de dernière génération à Laterrière. À vrai dire, je ne voyais donc pas vraiment l’utilité de travailler à la création d’un nouvel outil. Mais je n’ai pas mis de temps à changer d’idée quand j’ai constaté la présence au sein du groupe des gens de la trempe de Gérard Arguin et de Lucien Gendron… Dès le départ, avec ces derniers et d’autres personnalités qui ont rejoint le groupe, dont Bernard Angers, appelé à devenir, quelques années plus tard, recteur de l’UQAC, nos échanges ont été respectueux et fructueux. Je constate aujourd’hui que le CQRDA a été à la hauteur des attentes. Il a plus que jamais sa raison d’être auprès des PME et des équipementiers. Il a même fait sa niche dans la haute technologie ».

Gilles Déry, en poste depuis 2016, est plus passionné que jamais de l’industrie de l’aluminium au Québec.
Le président et chef de la direction de l’Association de l’aluminium du Canada (AAC), Jean Simard, endosse ces propos : « Le CQRDA s’est parfaitement intégré à la grappe de l’aluminium. Il n’a jamais cessé de s’adapter, d’évoluer dans un secteur d’activité qui a dû composer avec de nombreux imprévus et des crises, en particulier depuis les 30 dernières années. Il remplit sa mission de Centre de liaison et de transfert (CLT). Il s’adresse à une clientèle spécifique, celle des PME et des équipementiers, en l’accompagnant et en la soutenant dans ses projets de développement et d’innovation. Sa présence permet d’intégrer à ce marché les nouvelles technologies dont la grande industrie ne cesse de se doter ».
Mise en commun des ressources
Gilles Déry souligne que deux Sommets économiques tenus au Saguenay–Lac-Saint-Jean, ceux de 1984 et de 1991, auront été nécessaires avant que cette région ne puisse enfin mener à terme le projet du CQRDA. « Au milieu des années 80, on parlait plutôt de la nécessité pour l’industrie de l’aluminium de se moderniser. Ce n’est qu’un peu plus tard que l’expression de virage technologique a commencé à faire son chemin. Aujourd’hui, on parle d’intelligence manufacturière et d’économie 4.0. Il s’en est passé des choses entre la prise de conscience ayant permis au CQRDA de voir le jour et l’adoption de ces différents concepts. Les années qui ont précédé la création du CQRDA ont été marquées par l’inquiétude, on disait que ce ne serait plus comme avant, qu’il faudrait se résigner à des suppressions de postes dans l’industrie de l’aluminium. Cependant, des idées, des concepts originaux commençaient à émerger; on avait imaginé un fonds de capital de risque, soit SOCCRENT, dont le recteur de l’UQAC de l’époque, Alphonse Riverin, était l’un des plus ardents défenseurs avec l’économiste Adam Lapointe. Ces bâtisseurs et beaucoup d’autres ont été une grande source d’inspiration dans la mise en commun des ressources. Le CQRDA a obtenu sa charte en 1992. Un an plus tard, il était déjà en pleine opération ».

Crédit photo : Marc-André Couture
Jean Simard abonde dans le même sens que Gilles Déry en ce qui concerne le nouveau visage de l’économie : « Tout est allé tellement vite. Le rythme continue de s’accélérer depuis la pandémie. Il y a seulement quelques années, par exemple, des problèmes étaient constatés dans les chaînes d’approvisionnement. Le secteur des semi-conducteurs est celui qui reflète le mieux cette problématique. Pendant la pandémie et de plus en plus ces derniers temps, les obstacles se multiplient. D’autres domaines sont touchés… Nous nous rendons compte des limites de la globalisation des marchés. Nos PME doivent trouver leur place au sein de tous ces bouleversements. Elles font face à des défis de plus en plus gros. Dans un tel contexte, un organisme comme le CQRDA, dont les principales caractéristiques sont l’agilité, l’expertise et la force de son réseau, devient une nécessité dont plus personne ne peut se passer! »
« Au milieu des années 80, on parlait plutôt de la nécessité pour l’industrie de l’aluminium de se moderniser. Aujourd’hui, on parle d’intelligence manufacturière et d’économie 4.0. »
Un virage majeur et urgent
Pierre Bouchard (STAS) estimait, dans les années 80, que le moment était venu, pour l’industrie de l’aluminium et les entreprises, évoluant dans son environnement, d’amorcer un virage majeur. Pour lui, le Saguenay–Lac-Saint-Jean, tant sur le plan historique que sur celui de la ressource hydroélectrique, qui constitue l’une de ses plus grandes richesses renouvelables, était l’endroit idéal pour relever ce défi : « Lorsque le temps est venu pour Alcan de renouveler le bail de la Péribonka avec le gouvernement québécois, il y a une prise de conscience générale. L’entente qui autorisait la compagnie à opérer ses barrages venait à échéance en 1984. Son renouvellement pour les décennies à venir a marqué un tournant. Alcan a fait preuve d’ouverture; les gens de la région ont ressenti le même sentiment. Peu à peu, les simples contrats de sous-traitance qui liaient les PME régionales à Alcan ont commencé à évoluer. Au début, le rythme s’est fait tranquillement, mais il a commencé à s’accélérer sans fléchir par la suite. Le système d’éducation a emboîté le pas. Notre société régionale a pris conscience de la nécessité d’acquérir encore plus de connaissances. J’ai été parmi les premiers avec STAS à appuyer sur le déclic qui a lancé la 2e et la 3e transformation de l’aluminium et j’en suis fier ».
Dans le marché très compétitif des producteurs d’aluminium de première fusion, STAS, une entreprise spécialisée dans la fabrication d’équipements et fondée par Pierre Bouchard, est devenue très en demande au fil des 30 dernières années. À présent, cette réussite prouve, de l’avis général, qu’une PME établie en région peut très bien compenser son éloignement des marchés en développant une expertise à la hauteur des attentes et des besoins de la grande industrie.
L’éloignement des marchés et la meilleure façon de pallier cette réalité sont d’ailleurs des sujets sur lesquels Jean Simard a des idées bien arrêtées : « C’est une réalité qui confronte les régions et même le Québec en son entier depuis toujours. Et ça ne changera jamais ! Cela dit, nous avons tous une chance extraordinaire, celle d’être assis sur un véritable trésor d’énergie renouvelable : l’hydroélectricité. Grâce à cet atout de première main, nous avons pu faire, au début du 20e siècle, notre entrée dans l’ère industrielle, en particulier avec la production d’aluminium de première fusion. De plus, nous sommes situés tout à côté des États-Unis, un marché avec des possibilités inouïes, dont les usines de fabrication d’automobiles. Enfin, les trois grands producteurs mondiaux, Rio Tinto, Alcoa et Alouette, sont installés chez nous ».
L’UQAC en première ligne
L’Université du Québec à Chicoutimi était déjà en première ligne pour prêter main-forte au CQRDA dès sa naissance, et même avant, ainsi que le montrent les implications de ses principaux responsables dans la mise en place du comité chargé de lui donner vie. « C’est dans notre mission, explique le recteur actuel, Ghislain Samson. Démocratiser l’éducation en dispensant un enseignement à la hauteur des besoins et des exigences de nos différentes communautés, tout en restant à leur service, c’est de cette manière que le réseau auquel l’UQAC appartient participe à l’économie des régions. C’est pour cette raison également qu’au Saguenay–Lac-Saint-Jean le développement des nouvelles technologies de l’aluminium comme, par exemple, le soudage par friction-malaxage, est une priorité pour nous. Nos chaires de recherche sont à l’œuvre, ici et dans le réseau, afin de répondre aux besoins spécifiques de l’industrie si elle nous adresse des demandes allant dans ce sens. Tout est possible, en particulier avec la production d’aluminium vert. L’avenir de l’industrie réside dans ce métal et nous sommes bien placés pour être les premiers à en profiter! »

Ghislain Samson occupe son poste de recteur de l’Université du Québec à Chicoutimi (UQAC) depuis 2021. Il reprend le flambeau de ses prédécesseurs.

Dominique Bouchard a agit à titre de président du conseil d’administration de 2015 à 2023.
Le président du conseil d’administration du CQRDA, Dominique Bouchard, renchérit : « Le Québec occupe une position avant-gardiste dans la production d’aluminium vert. On le voit avec le procédé Elysis. Nous assistons à un changement radical des paradigmes qui, jusqu’à une période encore récente, régissait le marché. Cette méthode de production est très différente de ce qui se fait présentement dans les centres traditionnels de coulée. Avec Elysis, Rio Tinto s’est engagée à réduire de plus de 50 % ses émissions de gaz à effet de serre d’ici 2030-2050. Cet engagement touche la totalité de ses opérations, soit l’extraction de la bauxite et sa transformation en alumine grâce à des procédés chimiques et thermiques. Il est aussi question de la transformation de l’alumine en aluminium par des procédés d’électrolyse. La dernière étape, la coulée du métal, incluant sa récupération par différentes méthodes de recyclage, est également concernée. Un projet du Centre de coulage à Arvida est présentement sur la table à dessin ».
Modèle d’intervention
Avant même de penser à la façon dont il réaliserait ses premières actions, le CQRDA a dû faire preuve d’imagination en développant un concept d’intervention qui n’appartiendrait qu’à lui. Ce concept devait être axé sur les besoins et les attentes des entreprises qui feraient appel à son soutien, comme le décrit Gilles Déry : « Une nouvelle approche, misant sur la nécessité de diversifier l’économie, de développer les PME et de favoriser la transformation de l’aluminium, a pris forme avec la volonté de réaliser des études de faisabilité. Dès 1993, le CQRDA a voulu se doter d’une structure aussi légère que possible. Bien que l’expression recherche et développement fasse partie intégrante de sa raison sociale, il n’était pas question d’embaucher des chercheurs en résidence, puisque l’expertise existait dans les grandes entreprises ainsi que dans les universités et les cégeps. Cependant, ce nouvel organisme de pointe devait créer partout au Québec des relations adéquates avec les transformateurs d’aluminium et les PME désireuses de se lancer dans cette activité que tous pressentaient rentable. Transfert et liaison devenaient donc des mots-clés avec légèreté de structure, des mots et des expressions garantes de flexibilité et de dynamisme. Grâce aux agents de liaison, notre mode de fonctionnement est décentralisé, peu coûteux ».

En 1989, Pierre Bouchard a fondé STAS. leader mondial dans la fourniture de divers équipements pour améliorer la productivité et la qualité de l’aluminium.
Le modèle des agents de liaison permet une gestion efficace et structurée des activités sur l’ensemble du territoire québécois. Gilles Déry en résume le fonctionnement : « Puisque le CQRDA existe principalement pour les PME du Québec, il est normal d’accorder toute notre attention aux activités de liaison. Les agents, à qui nous confions cette responsabilité essentielle, sont des retraités qui ont développé leurs propres réseaux pendant leurs activités professionnelles antérieures. Toutes les régions sont couvertes. Le mandat de nos agents est d’établir et de développer des relations avec les PME afin de les inciter à améliorer leurs produits et procédés et à concrétiser leurs idées de développement ».
Une autre obligation s’est imposée assez rapidement au CQRDA, soit l’importance d’évaluer la profitabilité des projets de commercialisation dans les domaines où il est appelé à intervenir par le biais de différents types d’accompagnement. Gilles Déry précise la manière dont son organisme s’acquitte de cet autre aspect essentiel de sa mission : « Le rôle le plus probant du CQRDA dans les projets de RD qu’il finance est, sans aucun doute, le soutien à leur évaluation en vue d’une commercialisation dans des délais raisonnables. Pour réaliser cet objectif, tous les projets sont soumis à l’analyse technique d’un comité scientifique composé d’experts. Ce sont tous des spécialistes chevronnés et des chercheurs du Québec. Leur sélection s’effectue avec un souci de diversification de l’expertise disponible et non d’une appartenance organisationnelle particulière ».
Présence toujours pertinente
L’approche décentralisée dont fait état Gilles Déry n’a pas tardé à se traduire par des résultats probants. Pierre Bouchard le confirme dans le langage direct qui le caractérise : « Il y a des choses que STAS n’aurait pu réaliser sans l’aide du CQRDA. On a régulièrement fait appel à ses services pour aller plus loin. Oui, la grande entreprise nous a aidés, mais le CQRDA aussi! »
Gilles Déry ajoute en appui à ce témoignage : « Le CQRDA a œuvré sur près de 1 000 projets depuis sa fondation, cela représente environ 40 millions $ en contributions et pas moins d’un quart de milliard de dollars d’investissements. L’effet de levier est évident! »
Le recteur de l’UQAC, Ghislain Samson, estime que le CQRDA doit poursuivre dans la voie qu’il s’est tracée en continuant de faire preuve d’imagination et d’originalité dans ses différentes approches : « C’est un organisme fédérateur. Ce que j’entends à son sujet de la part des professeurs et des étudiants est favorable, en particulier grâce aux programmes d’attributions de bourses. Le CQRDA s’est impliqué financièrement dans le développement de nombreux projets porteurs pour l’économie des régions québécoises, mais il ne faut pas oublier que les services qu’il dispense en matière d’accompagnement et d’expertise, par exemple, jouent un rôle considérable dans la réussite des entrepreneurs avec lesquels il collabore étroitement ».
Dominique Bouchard y va d’une prédiction : « Le CQRDA ne cesse d’évoluer. Celui que nous connaissons aujourd’hui sera différent dans 5-10 ans. Une part importante de notre mission réside dans le développement de la recherche. On vient de mettre sur pied un programme d’innovation. En tant que président du conseil d’administration, je continue d’affirmer que nous sommes là pour nos clients, nos entrepreneurs. Nous sommes des facilitateurs. J’ai toujours défendu ce message auprès des gouvernements, peu importe leur couleur, car ce sont les PME qui font avancer les choses. Le développement de l’économie passe par elles ».

Complices, le président-directeur général et le président du conseil du CQRDA étaient tout sourires après l’entrevue.

Les invités ont discuté de la pertinence de faire du CQRDA un modèle d’affaires exportable ailleurs au Canada, ainsi que de l’avenir du Centre, à court, moyen, et long terme.
Ghislain Samson estime, quant à lui, que l’industrie québécoise de l’aluminium occupe une position avantageuse en matière d’innovation et de développement de nouvelles technologies : « On avance, question de demandes et d’exigences des marchés… Des entreprises spécialisées dans la haute technologie, comme Apple, veulent dans leurs composantes de l’aluminium vert. Dans un tel contexte, les producteurs n’ont pas le choix, ils se doivent de répondre aux attentes. Il y a aussi la pression sociale, la justice climatique; la production doit devenir de plus en plus verte. Essentiellement, il faut parler de développement durable. Les industries doivent se frotter à tous ces éléments. Il y a plein de projets d’expansion, de transformation. Les acteurs concernés doivent garder constamment à l’esprit cette question fondamentale : comment produire de manière plus verte en consommant le moins d’énergie possible? »
Dominique Bouchard se fait plus précis : « Nous sommes en avance dans le développement de nouvelles technologies et ça ne date pas d’hier. Prenons Alcan avec, à l’époque, son Centre de recherche et développement Arvida. Elle avait développé une expertise qui a assis sa réputation d’entreprise à l’avant-garde. Ensuite est venue Pechiney, une vendeuse de technologies. La fusion Alcan-Pechiney a permis des avancées majeures. L’Usine d’Alma et sa technologie AP30, aujourd’hui AP40, illustrent parfaitement cette avancée : on prend une technologie et on la pousse toujours plus loin. On passe de 300 000 à 400 000 ampères… Là, on a l’AP60, qui était au départ l’AP50 chez Pechiney. La recherche atteint son maximum et ça donne des résultats spectaculaires comme Elysis en association avec Alcoa. Le savoir-faire de nos gens est vraiment extraordinaire. Prenez à ce sujet l’Aluminium Stewardship Initiative (ASI), issue de la volonté de la grande entreprise de donner une valeur ajoutée à l’aluminium produit avec de l’hydroélectricité; la Chine en est encore au stade du charbon avec des coûts de main-d’œuvre équivalant au tiers de ce qui est payé ici. Avec l’ASI, nos producteurs donnent une plus-value au métal. Quand produire coûte plus cher que chez le compétiteur, il faut bien trouver une plus-value à son produit. C’est vrai que ça prend une demande, mais ça prend aussi des clients qui sont prêts à payer pour cette plus-value. Dans cette perspective, je pense que le moment ne peut être mieux choisi pour les producteurs occidentaux d’aluminium de se positionner afin de profiter de leur avance face à leurs compétiteurs ».
Pour Pierre Bouchard, il faut que les PME se trouvent des « niches », aussi bien pour pallier leur éloignement des marchés que pour s’assurer d’une base de développement solide ici même au Québec. « Nous sommes sur la bonne voie dans ce domaine, mais ce qui nous fait défaut, en ce moment, c’est un leader qui pourrait tracer la voie dans un secteur très pointu de la transformation, celui de l’extrusion, où il n’est pas facile de percer en raison des coûts énormes que cela exige en matière d’investissement. Pour en arriver là, il nous faudrait un laminoir. L’exemple de l’usine Verbom de Valcourt, qui fabrique des châssis de voitures pour Tesla à partir de feuilles d’aluminium, met très bien en lumière ce que je veux dire. »
Forte présence dans le milieu
« Plusieurs projets spéciaux soutenus par le CQRDA se traduisent par des retombées significatives en investissements, précise encore Gilles Déry. Cela montre la nécessité de maintenir notre implication dans le développement de nouveaux produits et procédés. » Il mentionne, à ce sujet, le projet Kalzip qui a permis, en 2010, de doter l’aréna de l’UQAC, à Saguenay, d’une toiture en aluminium éclatant. Il s’agissait d’une première initiative de ce genre au Québec et de la deuxième seulement au Canada.
Une première carte routière canadienne de la transformation de l’aluminium a également été dressée grâce aux bons offices du CQRDA. Il s’agit d’un plan stratégique, fruit d’un effort concerté des entreprises transformatrices, des équipementiers, des grands donneurs d’ordre, des organismes de recherche, d’associations, d’universités et enfin de différents paliers de gouvernement ».

Jean Simard, président et chef de la direction de l’Association de l’aluminium du Canada (AAC).
Par ailleurs, en 2006, le CQRDA a réuni des représentants du ministère québécois des Transports, du Conseil du trésor, du ministère de l’Économie et de l’Innovation, ainsi que du milieu universitaire, de l’industrie et du design. Le but de cette rencontre visait à identifier les obstacles empêchant une plus grande utilisation de l’aluminium à l’intérieur du Code canadien sur le calcul des ponts routiers.
Le REGAL, un regroupement de chercheurs œuvrant dans le secteur de l’aluminium québécois, a été mis sur pied grâce à une autre initiative du CQRDA et de l’UQAC, en 2003. L’Université regroupe ses chercheurs œuvrant dans ce domaine au sein du Centre universitaire de recherche sur l’aluminium (CURAL).
Le Centre québécois de recherche et de développement de l’aluminium publie un magazine, AL13. Grâce, également, à sa maison d’édition, Les Presses de l’Aluminium (PRAL), il diffuse de l’information sur l’industrie du métal gris et sa transformation. Au cours des dernières années, 12 ouvrages ont été publiés en français, alors qu’auparavant la plupart des publications de ce type de livres se faisaient uniquement en langue anglaise.
En plus de l’UQAC, le CQRDA collabore avec des maisons d’enseignement collégial et professionnel. Il assure et consolide sa présence dans le milieu de diverses façons.
« À la même table que les grands joueurs »
Voici ce que disait en 2013, dans le magazine AL13, Lucien Gendron, l’un des membres du groupe de fondateurs du CQRDA : « La plus belle preuve du succès du CQRDA, c’est que tout le monde veut nous copier. Ça marche tellement bien, que tout le monde nous veut ou veut reproduire nos activités. Le CQRDA est le seul centre, appelé à desservir l’ensemble du Québec, qui ne se trouve pas à Montréal et le seul dédié à une industrie. Nous réunissons à la même table les grands joueurs du Québec et le propriétaire d’une PME de deux ou trois employés. Nous avons reçu six évaluations depuis notre création et nous faisons toujours partie des centres les plus performants. Je suis fier de ce qui s’est fait au CQRDA. Je n’aurais jamais cru cela possible il y a 20 ans. Comment aurions-nous pu croire que nous allions contribuer à un projet comme le BIXI? »
- Émery P. LeBlanc a occupé le siège de vice-président des opérations au Saguenay–Lac-Saint-Jean chez Alcan, de 1990 à 1993.
Plus loin dans cet article, Lucien Gendron fait état de l’apport essentiel de Gérard Arguin et d’Émery P. LeBlanc à la création du CQRDA. Il dit, en substance, que cette association était forcément appelée à donner des résultats extraordinaires. « Au Sommet économique de 1991 à Saint-Félicien, les autorités gouvernementales étaient prêtes à consacrer 2,3 millions de dollars au projet de création d’un Centre de liaison et de transfert dans le secteur de l’aluminium. Gérard Arguin, qui agissait en tant que recteur, était ouvert à l’idée tout comme Émery P. LeBlanc, le nouveau directeur d’Alcan. La vie, c’est ça. Ces deux hommes ont des atomes crochus. »
Là pour rester
Le CQRDA se déploie dans tous les secteurs de l’aluminium, ce métal transversal et recyclable trouve, par définition, son utilité aussi bien dans l’alimentaire que dans le biomédical ou encore dans la haute technologie, comme c’est le cas avec Apple.
Selon Gilles Déry, cette stratégie de déploiement permet à l’organisme de se positionner en bonne place dans le marché québécois du métal gris ainsi qu’à l’échelle nationale et internationale.

Crédit photo : Audrey Boivin photographie
Pour le PDG Gilles Déry, il ne fait pas de doute que l’avenir de l’organisme est tout tracé : « Nous sommes là pour rester. Notre action des 30 dernières années a prouvé l’utilité du Centre auprès des grands producteurs, des PME, des différents paliers de gouvernement, des centres de recherche, des universités et des cégeps. Nous poursuivons dans cette voie, conscients de notre rôle et fiers du travail accompli jusqu’à présent ».
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