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par Céline Normandin

Qu’arrive-t-il quand un passionné de construction et de mécanique voit sa vie basculer? Il se retrousse les manches et vise à améliorer son sort et celui de plein de gens qui lui ressemble.

En cette matinée de mai, Marc Lamontagne travaille déjà depuis plusieurs heures dans son atelier. La porte de garage a été levée pour évacuer une partie de la fumée résiduelle du travail de soudure fait par l’équipe sur un des projets en cours, un ancien camion d’armée réaménagé entièrement pour une personne handicapée.

Si AL13 s’est déplacé à Saint-Denis-de-Brompton, tout près de Valcourt, c’est pour voir le projet qui occupe depuis deux ans le jeune homme. Il construit un prototype de vélo tout-terrain adapté à propulsion mécanique, le seul en son genre, selon son inventeur. Jean-Marie Tellier, son mentor et agent de développement pour le Centre québécois de recherche et développement de l’aluminium, ajoute qu’il s’agit également de l’un des premiers projets supportés par le Centre destinés aux personnes handicapées.

Un accident et un déclic

Depuis l’accident qui l’a rendu tétraplégique en 2015, le copropriétaire de Marc Zéro Limite n’a jamais voulu se laisser définir par son handicap. Ce grand sportif s’est toutefois retrouvé limité à sa chaise roulante avec une paralysie à partir du torse et une mobilité partielle des bras. Contrairement aux accidentés de la route ou du travail, il n’a pas droit à un montant de la part du gouvernement pour l’achat d’un fauteuil adapté pour les loisirs. Cette forme d’injustice est à la source du déclic qu’il a eu. « Mon premier but, c’est de faire un vélo accessible pour tout le monde. Aujourd’hui, si tu veux t’acheter un fauteuil adapté, ça coûte de 15 000 à 20 000 $. Ce n’est vraiment pas à la portée de tout le monde. C’est comme ça que j’ai eu l’idée de faire un fauteuil roulant mécanique quatre saisons. Je veux procurer de la mobilité aux handicapés afin qu’ils puissent mener une vie normale. »

Ce grand sportif vise à joindre sa famille dans leurs activités de plein-air.

Avant son accident, Marc travaillait dans la construction, mais a toujours été passionné par la mécanique. Depuis qu’il est tout jeune, il joue avec les moteurs, les monte et les démonte. C’est dans le garage qu’il se retrouvait soir après soir, après le travail. Il a déjà monté de A à Z un camion tout-terrain à lui seul. À l’image de ses parents qui ont toujours travaillé fort, Marc sait qu’il faut mettre des efforts pour obtenir des résultats, ce qui va à contresens de la pensée ambiante d’aujourd’hui. « Tout le monde veut avoir tout, tout de suite, mais c’est pas comme ça que ça marche ».

Du prototype à la production de masse

Le défi de construire un vélo tout-terrain adapté ne l’a donc par rebuté, au contraire. Après avoir été représentant de fauteuils adaptés et avoir suggéré plusieurs améliorations, il a décidé de prendre les choses en main. Depuis deux ans, Marc peaufine son prototype. L’acier a été exclu au profit de l’aluminium, plus léger et malléable, un matériau qui est aussi utilisé abondamment dans les vélos de tous genres.

L’aluminium est aussi un matériau recyclable, fait au Québec, flexible et accessible. Il est solide et simple à travailler. « L’acier, il n’y a rien à faire avec ça », commente l’inventeur qui a retravaillé 25 à 30 fois les mêmes pièces pour les perfectionner.

Marc utilise de l’aluminium 6061-T6, reconnu pour sa résistance, mais requérant une certaine technique et les bons outils pour l’étape de soudage. Il a obtenu une subvention du CQRDA, dont une partie a été versée au Centre de métallurgie du Québec (CMQ), situé à Trois-Rivières. Le chercheur affilié au projet, Philippe Vachon-Joannette, a développé le concept par modélisation 3D et a conseillé l’entrepreneur pour peaufiner ses techniques d’assemblage selon la modélisation proposée. Cette dernière présente le plan détaillé du vélo adapté avec toutes les mesures essentielles pour passer à l’étape de la fabrication en plus grande quantité.

Marc utilise sa subvention pour payer son équipement. La hausse des coûts et l’inflation ont augmenté les frais. Marc admet que c’est un projet qui coûte cher, et qu’il investit beaucoup de son temps, « mais quand j’ai une idée en tête, je ne peux pas la lâcher (…) Ce que je vise, c’est un vélo pour tout le monde ».

Le plus récent modèle de vélo tout-terrain, qui a des allures de motocross et de Harley-Davidson, est le dernier d’une longue série. Marc peaufine sans cesse le modèle et le teste lui-même. Il faut penser à un grand nombre de variables pour optimiser le vélo, que ce soit la longueur des bras par rapport au manche, ou la force nécessaire pour la propulsion afin de la maximiser.

Le travail de Marc ces temps-ci consiste à simplifier au maximum son modèle pour en faciliter la production à la chaîne. La clef de la réussite repose sur une production de masse qui permettra d’abaisser les coûts et de rendre son vélo disponible à un plus grand nombre.

La liberté par les pistes

D’ici la fin de l’année, son prototype sera terminé et prêt à subir une batterie de tests. Le 1 % de Québécois vivant avec un handicap pourrait donc très prochainement avoir un produit abordable sous la main.

Les pistes sont d’ailleurs déjà prêtes à les recevoir. Le vélo a été conçu pour pouvoir circuler sur les pistes de vélos à pneus surdimensionnés (« fatbikes »). « C’est idéal parce que c’est polyvalent. Elles sont plus larges que les pistes de motoneiges et peuvent tenir trois personnes de large ». Quelques centres ont déjà dit qu’ils accepteraient le vélo sur leurs pistes et Marc est sûr de pouvoir en convaincre d’autres, comme les parcs de la SEPAQ. Le rêve que Marc poursuit est le sien, mais aussi celui de plusieurs autres personnes qui veulent faire sauter les barrières qui les limitent dans leur vie et ceux de leur famille.

Josiane et Marc sont copropriétaires de Marc zéro limite.

Le jeune homme se remémore ce qu’un médecin lui a dit après son accident. Il aurait aimé que quelqu’un comme lui dise qu’il ne s’agissait pas d’une fatalité et que l’espoir était encore possible. « Le médecin m’a dit que je serais en colère, que j’en voudrais à la terre entière, que ma blonde me laisserait et que je perdrais toute ma mobilité. Il avait raison : je peux bouger mes mains et mes bras, mais c’est tout. Je ne sens plus rien à partir du torse. Mais il s’est trompé sur deux choses, ma blonde est encore là et je n’ai pas arrêté de vivre ».