par Céline Normandin
Le fondateur d’Intelligence Industrielle veut s’attaquer au nœud du problème de la productivité des entreprises manufacturières du Québec.
Intelligence industrielle a beau fêter seulement ses sept ans cette année, son concepteur peut se targuer d’avoir connu du succès dès le jour un et sans discontinuer depuis. La mission de l’entreprise est simple : aider les entreprises manufacturières à optimiser leur productivité par la collecte de données provenant du plancher de production. Aussi simple soit-elle, cette offre de service a réussi là où plusieurs experts se sont cassés les dents en essayant de régler des problèmes de productivité.
Des jouets éducatifs aux industries

Martin Landry, fondateur d’Industrielle Intelligence.
L’homme derrière Intelligence industrielle est Martin Landry. Détenteur d’un baccalauréat en génie mécanique, obtenu il y a un peu moins de dix ans, il a vite cherché à élargir ses horizons. Il décroche des emplois dans des entreprises manufacturières au Québec et en France, ce qui l’amène jusqu’en Nouvelle-Zélande, où il devient CTO d’une entreprise spécialisée dans l’impression 3D et les jouets éducatifs pour enfants. Son mandat est alors de concevoir, pour les ministères de l’Éducation de pays de l’hémisphère sud, des systèmes permettant de monitorer les imprimantes 3D dans les écoles. Il développe aussi, dans cette expérience, des jouets éducatifs pour enfants.
Il a une épiphanie alors qu’il planche sur la création de jouets éducatifs où il développe, avec son équipe d’ingénieurs, des essaims de robots connectés, pouvant être programmés par des enfants de 6 à 14 ans. Il se rend compte qu’il a sous la main un système « très, très performant », applicable autant pour des jouets pour enfants que des entreprises manufacturières. Surtout, son concept est centré un élément essentiel de son entreprise, la simplicité.
« Comme ingénieur, on a tendance à trop compliquer les choses, mais la clé d’un projet de transformation numérique, c’est qu’il doit être simple ».
Dès le lancement d’Intelligence Industrielle à son retour au Québec, les choses vont très vite. À seulement neuf semaines d’existence, son entreprise signe son premier client : Bombardier, qui travaillait alors sur sa C-Series. Le succès connu chez ce client, lui a permis d’ouvrir de nombreuses portes. « Ça ne s’est jamais arrêté depuis », résume M. Landry.
Faire parler les machines
La force de la PME réside dans sa capacité à faire parler les machines à propos de leur productivité, en collectant des données telles que leur temps de disponibilité. Devant ce genre de problématique, la solution est souvent simple, tel qu’améliorer l’organisation du travail.
Les équipes d’Intelligence Industrielle installent des dispositifs électriques sur des machines, qu’elles soient sophistiquées, rudimentaires ou anciennes. « Ce qui est commun à toutes les machines, c’est qu’elles fonctionnent à l’électricité, et c’est là toute la beauté. Si nous ne pouvons pas nous connecter à elles via leurs protocoles de communication, nous pouvons lire les signaux électriques, ce qui génère une tonne de données », explique le fondateur.
Des boitiers K2 sont également installés directement sur les panneaux électriques et transmettent les données brutes vers l’infonuage grâce au Wi-Fi. Intelligence Industrielle repose sur le principe de l’Internet des objets, appliqué au secteur manufacturier, pour créer des données numériques.
Augmenter la productivité, une machine à la fois
Pour le concepteur d’Intelligence Industrielle, le problème principal des entreprises manufacturières au Québec ne repose pas ni dans une pénurie de main-d’œuvre, ni dans un manque de machine, mais dans un problème de productivité lié à l’absence de données et des problèmes d’organisation.
« Les gestionnaires d’entreprises manufacturières n’ont pratiquement aucune donnée sur la réalité du plancher de production. Ils n’ont même pas accès à des données de base, comme le taux d’utilisation des machines ou les principales causes d’arrêt. Ils fonctionnent au feeling. »
Pourtant, ces machines contiennent de nombreuses données, souvent inexploitées et non sauvegardées. Selon le dirigeant de la PME, le taux de disponibilité des machines dans les usines québécoises avoisine les 35 %. Autrement dit, pendant les heures où elles sont en fonctionnement, elles ne produisent qu’un tiers du temps. Une immense capacité de travail reste donc inutilisée alors que la main-d’œuvre est disponible et que les machines sont en état de fonctionner. « Ce qu’on réussit à faire, c’est de réduire le temps d’arrêt », explique-t-il.
M. Landry insiste sur le fait qu’Intelligence Industrielle est avant tout une entreprise de produits. Lorsque ses équipes interviennent dans une entreprise, tout est conclu à l’intérieur de cinq semaines.
Un modus operandi éprouvé
La première semaine est dédiée à des rencontres et à la proposition de solutions clé en main. « Le travail est fait à 90 % par nous », précise le fondateur. La connectivité des machines est réalisée la deuxième semaine, en s’appuyant sur les plans électriques et d’installation du client. Ensuite viennent la configuration des logiciels et des alertes. Les deux dernières semaines sont consacrées à la livraison des solutions et à la formation pour la gestion du changement. « C’est le moment le plus important, car nous introduisons de nouveaux indicateurs et modifions en profondeur la culture de l’entreprise. » Intelligence Industrielle traite actuellement entre 4 et 6 usines par mois et prévoit d’augmenter ce chiffre à 8 ou 12 l’année prochaine.
Une grande part des revenus provient du service après-vente, grâce à la vente de licences de logiciels. C’est par ces derniers que les clients ont accès aux différents tableaux sur le taux de rendement global dont chaque machine est dotée. « C’est une obligation pour le client, ça fait partie du customer success. Ils doivent être accompagnés dans le processus », précise le fondateur d’Intelligence Industrielle. La PME a noué des partenariats avec des distributeurs et des intégrateurs pour cette partie des opérations.
Le vrai visage du virage 4.0
Ce virage numérique, aussi appelé 4.0, est possible aujourd’hui grâce au Big Data, estime Martin Landry. « Aujourd’hui, nous avons accès à une quantité phénoménale d’informations, non pas parce qu’elles n’étaient pas disponibles avant, mais parce que les outils pour y accéder sont beaucoup moins chers. Cela est dû à la baisse drastique des prix des composants », explique M. Landry.
La solution de la PME est donc transposable dans tous les secteurs manufacturiers, que ce soit le métal, l’impression, le plastique ou le transport. Elle travaille actuellement au Saguenay en collaboration avec le Centre québécois de recherche et de développement de l’aluminium (CQRDA) pour monitorer des soudeuses, un équipement coûteux qu’il est essentiel de maintenir en fonctionnement optimal.
Un terrain de jeu encore à développer
Intelligence Industrielle continue de développer de nouveaux cas d’utilisation de sa technologie, avec une dizaine d’applications en cours de développement. Ses produits, bien que matures, sont hautement configurables, permettant à Intelligence Industrielle de s’adapter à différents défis du plancher de production, estime le PDG.
La prochaine grande révolution, selon Martin Landry, sera l’intégration de l’intelligence artificielle.
« Avec des outils comme les modèles de langage de ChatGPT, nos ingénieurs pourront être dix fois plus productifs. Ces outils permettent également aux gestionnaires de valoriser leurs données par des analyses beaucoup plus avancées. »
L’entreprise se concentre principalement sur le marché québécois, avec quelques incursions à l’étranger. Quant aux offres d’achat, M. Landry admet en avoir reçu, mais ne considère pas qu’il soit stratégique de vendre à ce stade. « Nous sommes dans une phase de croissance exponentielle, et nous avons encore beaucoup à accomplir. Nous avons 100 % de l’équité de l’entreprise, ce qui nous permet de garder les mains sur le volant et de prendre des décisions stratégiques pour l’avenir. »