par Jonathan Thibeault
L’instabilité des politiques commerciales américaines, notamment les tarifs douaniers imposés par l’administration Trump et les contre-tarifs canadiens, bouleverse les stratégies des entreprises exportatrices, dont celles du secteur de l’aluminium. Mais au-delà des exportateurs directs, c’est toute la chaîne d’approvisionnement qui est touchée, de la production aux sous-traitants. Pour maintenir leur compétitivité, les entreprises doivent comprendre ces nouvelles règles du jeu et ajuster leurs stratégies en conséquence.

Nadine Brassard, présidente de Commerce International Québec, souligne l’importance pour les entreprises québécoises de bien comprendre les enjeux douaniers et d’explorer la diversification des marchés. (Photo: Prayanama)
Naviguer dans le monde des douanes requiert une bonne maîtrise des responsabilités et des coûts associés. AL13 s’est entretenu avec Nadine Brassard, commissaire à l’international et directrice générale de SERDEX, un des organismes régionaux de promotion des exportations (ORPEX). D’entrée de jeu, elle rappelle un élément important : à qui revient le paiement de ces tarifs douaniers ? « Il est essentiel de comprendre qui assume les frais de douane. Dans certains cas, ce sont les entreprises canadiennes qui exportent aux États-Unis qui doivent en supporter les coûts », explique Nadine Brassard, également présidente de Commerce International Québec, le réseau qui regroupe l’ensemble des ORPEX de la province.
Avant d’expédier une marchandise, une entreprise doit vérifier plusieurs aspects :
- Dans le contrat, qui est responsable des frais de douane ?
- Le contrat prévoit-il que les coûts seront refacturés aux clients américains ?
- Les termes de vente permettent-ils d’éviter des frais imprévus ?
- Tous les documents douaniers sont-ils bien remplis pour éviter des erreurs coûteuses ?
« L’origine des produits est également un élément stratégique. Certains intrants peuvent être soumis à des tarifs sans que l’entreprise en ait conscience. Il est impératif d’examiner l’ensemble de sa chaîne d’approvisionnement, même si notre entreprise n’importe pas directement, l’un de nos fournisseurs peut le faire, ce qui peut avoir un impact. D’où l’importance de faire cet exercice pour éviter les mauvaises surprises », ajoute Mme Brassard.
Des répercussions qui dépassent l’exportation
Si les hausses tarifaires concernent directement les entreprises qui exportent vers les États-Unis, elles créent aussi des effets en cascade. « Les contre-mesures canadiennes sur les importations américaines font grimper les coûts pour les entreprises qui s’approvisionnent aux États-Unis. Il faut s’assurer de connaître l’origine des marchandises », précise Mme Brassard.
Un autre effet moins visible est l’intensification de la concurrence au Québec. «Des entreprises qui vendent principalement aux États-Unis se repositionneront sur le marché local. Ça peut créer une pression supplémentaire pour les entreprises qui sont déjà bien intégrées dans le marché domestique, qui doivent maintenant faire face à de nouveaux compétiteurs sur leur propre territoire », souligne-t-elle. Ce contexte pousse aussi plusieurs entreprises à revoir leurs investissements et à reporter certains projets d’expansion. « Les incertitudes entourant les tarifs influencent la confiance des entreprises. Moins d’investissement, c’est aussi moins de contrats de sous-traitance pour l’ensemble de l’écosystème industriel », ajoute Mme Brassard.

La frontière canado-américaine, un passage stratégique pour de nombreuses entreprises québécoises, est au cœur des enjeux liés aux tarifs douaniers et aux tensions commerciales. (Photo: DepositPhotos)
S’adapter et diversifier ses marchés
Dans ce climat d’incertitude, plusieurs stratégies peuvent être envisagées. « Il faut évaluer si l’on absorbe les coûts ou si l’on ajuste les prix. Si notre produit devient 25 % plus cher, reste-t-il compétitif face à des concurrents non soumis à ces tarifs ? », donne en exemple Mme Brassard. La diversification des marchés en ciblant de nouveaux territoires d’exportations est une avenue à explorer. « Une entreprise qui exporte vers plusieurs destinations réduit son risque. Nos données montrent qu’une entreprise qui se diversifie peut voir ses ventes multipliées par cinq. Il faut agir maintenant, car s’adapter une fois la crise bien installée sera plus compliquée », insiste-t-elle. Le commerce interprovincial peut aussi être une solution, mais il ne faut pas s’y aventurer sans préparation. « Les opportunités existent, mais elles doivent être validées avec une étude de marché rigoureuse », prévient Mme Brassard.
Des ressources pour accompagner les entreprises
Heureusement, plusieurs organismes peuvent aider les entreprises à structurer leur approche et à identifier les meilleures stratégies. Le réseau des ORPEX accompagne les exportateurs québécois dans leurs démarches et leur planification. « Nous apportons un regard externe et des conseils stratégiques pour éviter les décisions précipitées », indique-t-elle.
Plusieurs programmes d’aide financière sont également disponibles. Au niveau fédéral, CanExport, géré par Développement économique Canada (DEC), offre un soutien aux entreprises souhaitant exporter. Du côté provincial, Investissement Québec administre le PSCE (Programme de soutien à la commercialisation et à l’exportation) pour accompagner les entreprises dans leur développement à l’international. Enfin, des initiatives locales et régionales, comme Opération Prospérité Québec, centralisent les ressources et facilitent l’accès aux outils d’exportation.
Une période d’incertitude à transformer en opportunité
Le climat économique actuel force les entreprises à revoir leurs stratégies plus rapidement que prévu. « [Avant l’entrée en vigueur], on constatait déjà une accélération des commandes par crainte des fluctuations à venir », observe Mme Brassard.
Elle rappelle que la crise économique de 2008 avait mis en évidence l’importance de la diversification des marchés. « Les entreprises qui avaient commencé à explorer de nouveaux marchés avant la crise s’en sont mieux sorties que celles qui ont réagi trop tard », analyse-t-elle.
Face à ces bouleversements, l’inaction n’est pas une option. « Nos entreprises font déjà leurs devoirs. Toutefois, si elles ont besoin d’un coup de pouce ou d’un regard externe, les ORPEX sont là pour les aider à structurer leurs démarches, réduire les incertitudes et assurer le succès de leurs projets d’exportation. Chose certaine, c’est une période qui nous rappelle l’importance de se diversifier. Même si ça se régularise, il est important de se rappeler qu’on ne peut pas toujours se fier à un seul marché », conclut Mme Brassard.
Cette entrevue a été réalisée avant la décision de la Maison-Blanche d’imposer ou non les tarifs douaniers de 25 % sur les produits canadiens. Certains propos peuvent être imprécis en raison des incertitudes de l’administration américaine. |