par alexandre d’astous
Le recrutement d’étudiants est un défi de taille pour les centres d’enseignement du Québec qui ont la tâche de former la future main-d’œuvre du secteur industriel. La démographie québécoise étant à la baisse, les institutions d’enseignement doivent de plus en plus faire du recrutement à l’international.
Conscient des lacunes sur le plan de la formation collégiale et universitaire sur l’utilisation de l’aluminium, AluQuébec a mis en ligne au cours des dernières semaines le portail Alu-Compétences pour outiller les professeurs et faciliter l’enseignement de l’aluminium.
Cette nouvelle plateforme fournit des contenus techniques et scientifiques sur l’aluminium aux professeurs de cégeps et d’universités afin de leur permettre de mieux former les étudiants des programmes de design industriel, d’architecture et de métallurgie ainsi que ceux des facultés de génie civil, mécanique et aérospatial.
Former une relève qualifiée
« Ça fait presque deux ans que l’on travaille sur ce projet pour garantir une relève qualifiée sur les notions entourant l’utilisation et la transformation de l’aluminium. La filière aluminium est fière d’offrir aux professeurs du contenu didactique sur l’aluminium afin de bonifier et d’enrichir leurs cours. C’est du matériel libre de droits avec des contenus clés en main, qui sont faciles d’accès et très simples d’utilisation pour ainsi contribuer au développement d’une culture aluminium au Québec », indique François Racine, président-directeur général d’AluQuébec.
« Il y a déjà du contenu disponible sur le portail et il sera alimenté régulièrement pour assurer une meilleure connaissance et une plus grande maîtrise de l’aluminium afin d’en accroître l’utilisation en complémentarité avec les autres matériaux », précise M. Racine.
Manque de diplômés
Le PDG d’AluQuébec est catégorique sur le fait qu’il manque de diplômés pour répondre à la demande de l’industrie de l’aluminium. « Il en manque à tous les niveaux, tant collégial qu’universitaire, mais aussi dans les centres de formation professionnelle, où les soudeurs sont en forte demande. On estime qu’il va manquer 7 000 soudeurs dans les prochaines années. Toutes les industries se battent pour attirer ces gens-là », mentionne-t-il.
Monsieur Racine estime que le recrutement de main-d’œuvre étrangère peut aider à combler le manque de personnel. « Il y a des étudiants étrangers qui ont des compétences intéressantes pour nous. Déjà des entreprises de notre secteur font venir des soudeurs et des machinistes à titre de travailleurs étrangers temporaires.
Dans les états généraux de la métallurgie, les gens de l’industrie ont abordé les sujets de l’immigration et de l’importance d’attirer les jeunes diplômés vers nos métiers. « On parle des immigrants, des femmes, des autochtones. Il y a des efforts à mettre sur le recrutement », rapporte M. Racine.
De bons indicateurs à la Polytechnique Montréal
Les choses vont bon train à la Polytechnique Montréal, où le recrutement d’étudiants se fait plutôt bien, même s’il y a quelques défis à relever. « Nos chiffres sont à la hausse. Nous sommes passés de 4 600 inscriptions par année, il y a 5 ans, à 5 400 cette année. Nous sommes assez satisfaits. Il y a une belle montée du nombre d’inscriptions », indique le directeur des affaires académiques et de l’expérience étudiante par intérim, Pierre Baptiste.
La Polytechnique a mis beaucoup d’efforts sur le recrutement et, particulièrement, sur le recrutement à l’international. « Nous avons été aidés cette année par l’annonce de bourses que le gouvernement a alloué aux étudiants en génie et en technologie de l’information. »
Polytechnique Montréal propose 12 programmes au baccalauréat, dont certains sont davantage reliés au secteur industriel comme génie mécanique, génie électrique, génie industriel ainsi que génie logiciel et informatique. « Ces programmes forment de la main-d’œuvre pour l’industrie, dont celle de l’aluminium. Nous sommes conscients qu’il y a une pénurie de main-d’œuvre, c’est pourquoi on accélère le recrutement », précise M. Baptiste.
Lien avec l’industrie
De concert avec l’industrie, Polytechnique Montréal travaille à former une main-d’œuvre répondant aux besoins des industriels. « Tous nos ingénieurs ont un stage obligatoire en entreprise. La plupart vont en faire un deuxième, et ce, même s’il n’est pas obligatoire. Nos étudiants sont très présents en entreprise, et dans tout le Québec, pas uniquement à Montréal. J’ai déjà encadré un stagiaire dans une aluminerie au Lac-Saint-Jean », indique le directeur par intérim. « Nous avons un bassin de recrutement relativement fermé, ce qui fait que, si nous voulons fournir la main-d’œuvre nécessaire à l’industrie, il faut aller recruter à l’international. Pour les étudiants français, c’est plus facile parce que les frais de scolarité sont abordables; toutefois, pour ceux des autres pays, c’est beaucoup plus cher. Un baccalauréat pour un étudiant venant de l’Afrique francophone coûte entre 100 000 $ et 120 000 $. Le gouvernement a fait un effort pour les universités en région, mais pas pour la région de Montréal », souligne M. Baptiste.
Des solutions sociales au manque de main-d’œuvre
Pour la présidente-directrice générale du Réseau des centres collégiaux de transfert technologique (CCTT), Marie Gagné, le transfert technologique peut pallier une partie du manque de main-d’œuvre dans l’industrie.
« Il y a certaines réalités immuables comme le déclin démographique, le vieillissement de la population ou les seuils d’immigration qui doivent s’arrimer aux objectifs d’intégration. Il y a des solutions technologiques pour combler certains postes par de la robotisation ou de l’automatisation. Au-delà de l’innovation technologique, il y a aussi des solutions d’innovations sociales comme l’intégration d’une main-d’œuvre ayant un ou des handicaps ou, encore, l’aménagement d’horaire et de postes de travail permettant aux travailleurs plus âgés de demeurer actifs plus longtemps au sein de l’entreprise », commente Mme Gagné.
Elle précise que les membres du Réseau des CCTT sont là pour accompagner les entreprises dans une certaine gestion du changement. « Il faut comme agrandir la maison par en dedans en maximisant la main-d’œuvre qui est déjà disponible; c’est-à-dire, par exemple, mieux intégrer les gens en situation de handicap, mieux accueillir nos immigrants et leur faire une meilleure place dans nos organisations ainsi que développer des aménagements pour nos travailleurs d’expériences. Souvent ces gens-là ne veulent plus travailler 40 heures par semaine ni 52 semaines par année, mais ils peuvent faire d’excellents mentors. Nous avons des CCTT qui offrent des solutions. »
Autant pour l’intégration des personnes avec un handicap que pour les immigrants, Mme Gagné concède qu’il y a des barrières, mais que ce sont des barrières sur lesquelles il est possible de travailler. « Nous travaillons avec les entreprises pour faire baisser cette méfiance, qui peut être présente au sein des équipes de travail. Ça ne demande pas de baisser nos seuils de qualité ou nos attentes, c’est juste de changer nos façons de faire. Les gens qui sont surdoués, on les veut dans nos équipes, mais on ne peut pas les traiter de la même façon que quelqu’un qui n’est pas surdoué », précise-t-elle.
Formation et sensibilisation
Les 59 CCTT au Québec, 49 en innovation technologique et 10 en innovation sociale, font beaucoup d’activités de formation et de sensibilisation auprès des entreprises. C’est souvent lors de ces activités que des projets sont lancés. Il est possible que deux CCTT travaillent en partenariat ou en collaboration pour bien soutenir l’employeur. Parmi les CCTT, le Centre de métallurgie du Québec collabore assurément avec l’industrie de l’aluminium.
La PDG du Réseau estime que le principal enjeu, dans les prochaines années, pour les entreprises sera de maintenir leur production, mais surtout de conserver la même qualité pour leurs produits.
La technologie au service de l’industrie
Yves Dessureault, directeur général du Centre de robotique et de vision industrielles (CRVI), un CCTT rattaché au Cégep de Lévis, explique que son organisation est au service de l’industrie. « Notre domaine d’expertise, c’est la robotique, la vision artificielle et l’intelligence artificielle. Nous avons une ressource au centre qui s’occupe du développement des affaires, qui rencontre des clients et qui identifie des projets pour en arriver à une proposition de recherche ou de transfert technologique. Nos services sont payés par l’entreprise, mais ils sont admissibles à des programmes de financement gouvernementaux. Le secteur de l’aluminium fait partie des secteurs que l’on couvre. Notre clientèle est répartie à la grandeur du Québec. »
Le CRVI intervient partout au Québec, dans tous les secteurs industriels, et même un peu dans le reste du Canada. « En tout premier lieu, on fait de l’accompagnement. Si le besoin de l’entreprise est dans nos cordes, nous allons identifier une ressource technique qui va aller faire une analyse plus poussée pour bien comprendre la problématique afin d’identifier notre mode d’intervention et nous allons, par la suite, déposer au client une proposition de travail avec une évaluation des coûts et un échéancier. »
Un grand parc de robots
Le CRVI possède un très grand parc de robots, ce qui lui permet de prototyper l’application du client et de s’assurer de son fonctionnement. L’établissement est aussi très bien doté d’équipements pour la vision et l’intelligence artificielle. « Nous avons deux mégaordinateurs pour faire du calcul d’intelligence artificielle. Nous travaillons aussi en réseau avec d’autres CCTT ou en partenariat lorsque le projet nécessite une expertise plus large », explique M. Dessureault, qui dirige une équipe de 35 personnes, dont 26 chercheurs.
Le fait d’avoir un parc de technologies à la fine pointe favorise le recrutement au CRVI. « C’est aussi vrai pour les entreprises. Celles qui ont de vieilles technologies ont une capacité d’attraction et de rétention de la main-d’œuvre beaucoup moindre. Jusqu’en 2018, c’était possible au Québec d’envisager de développer des procédés avec un taux élevé de main-d’œuvre. Maintenant, ce n’est plus du tout envisageable comme modèle industriel. On estime que la pénurie de main-d’œuvre va se stabiliser dans 15 ans, mais elle va se stabiliser par rapport aux années 70. C’est pour cela qu’il faut envisager une industrie très informatisée et robotisée pour augmenter ses capacités d’automatisation », commente M. Dessureault.
Le DG du CRVI signale qu’au-delà d’un enjeu de pénurie de main-d’œuvre, il y a un enjeu d’innovation. « Ça va prendre des gestionnaires aguerris pour opérer dans l’univers d’une entreprise automatisée, robotisée et numérisée. Le manque de compétences technologiques est le premier frein identifié par les entrepreneurs dans un récent sondage. Avec le réseau des CCTT, les entreprises ont accès à 2 500 chercheurs.