par Marc St-Hilaire
Par définition, les artistes sont sans cesse en quête de se révéler à travers de nouvelles expériences, de nouveaux médiums. Ils repoussent sans relâche les frontières. Pierre Routhier ne fait pas exception à la règle. Originaire de La Baie, au Saguenay–Lac-Saint-Jean, il a grandi dans un monde où l’aluminium brillait de tous ses feux. Fils d’un enseignant en arts et d’une mère qui a fait carrière aux installations portuaires d’Alcan, aujourd’hui Rio Tinto, le designer a vite intégré le métal gris à ses œuvres et compte poursuivre dans cette voie, maintenant que le monde s’ouvre à son talent indéniable.
« Mon père était professeur d’arts. Il enseignait au secondaire. Ses frères étaient tous des artistes également. Ils étaient des patenteux, des sculpteurs, des peintres. Je suis né dans une famille d’artistes », raconte-t-il d’entrée de jeu.
À la fin des années 1990, alors qu’il complétait son baccalauréat interdisciplinaire en arts à l’Université du Québec à Chicoutimi (UQAC), le Baieriverain a eu la chance d’être initié au design industriel, une tendance qui s’est manifestée de nombreuses années plus tard au Québec.
« Ce qui m’a amené vers l’aluminium, je pense, c’est le fait que ma mère travaillait pour Alcan, au port de mer. Nous avions des trophées, des lingots, des pépites… Ça brillait et, quand j’étais jeune, ça me fascinait. Quand la professeure de design Élisabeth Kaine a constaté mon intérêt pour ce matériau, elle m’a parlé d’un programme du Centre de recherche et de développement de l’aluminium (CQRDA). Et, évidemment, je suis embarqué là-dedans à 100 %. L’idée était de développer des objets usuels en les améliorant avec une touche artistique, en y intégrant l’aluminium. J’ai été un élève privilégié. J’ai eu accès à une formation spéciale avec des designers industriels de Montréal. J’ai été invité dans toutes les usines du Saguenay–Lac-Saint-Jean pour étudier la production, le développement, la machinerie et le procédé. Le coupage, le modelage, les presses et les tours numériques, j’ai eu la chance de voir tout ça au cours de ma formation et de mes stages. Aujourd’hui encore, je suis sensible à ça, à intégrer l’aluminium dans mes produits et dans mes œuvres. »
Pierre Routhier a rapidement pris du galon au terme de ses études universitaires. « J’ai sorti une ligne à la fin de mon baccalauréat, en 1999, qui alliait l’alu et le bois. Certaines pièces étaient uniquement en alu. Ça m’a permis de rencontrer des designers seniors que j’admirais. Mais j’étais 15 ans à l’avance, rigole-t-il. Les années passent et, aujourd’hui, on voit de plus en plus de mobiliers industriels. C’est rendu à la mode. Je réédite présentement des meubles que j’ai créés à cette époque. »
Par le biais de son entreprise fondée en 2001, Stimuli Design, il a gagné en expérience dans l’univers des bars, des hôtels et des restaurants, notamment à l’Hôtel Chicoutimi, où il a eu sa première véritable chance en tant que designer professionnel. Puis, tout a déboulé pour lui.
« J’aime toucher à plein de choses et c’est pour cette raison que j’ai opté pour le baccalauréat interdisciplinaire en design, à l’Université du Québec à Chicoutimi. C’était génial. Nous touchions autant au design qu’à l’art, qu’à la sculpture. Même le cinéma. C’était parfait comme démarche artistique et créative. Ça me définissait bien. Comme tout le monde, j’ai songé à d’autres métiers. Je me suis intéressé à l’architecture, à l’informatique. J’ai même fait un DEC intensif comme programmeur-analyste. J’aimais les ordinateurs pour faire de l’art, mais la programmation ne me disait rien. Trop cartésien, trop mathématique pour moi. Il manquait de création. »
Jusqu’ici, Pierre Routhier a essentiellement consacré ses efforts à une clientèle très restreinte, qui exigeait du sur-mesure. Or, il planche présentement sur une ligne de meubles résidentiels, qui sera accessible au grand public.
Entre deux mondes
La passion pour l’informatique a guidé Pierre Routhier vers de nouvelles expériences qui allient l’art traditionnel et le numérique, plus précisément la réalité virtuelle.
Parallèlement à ses contrats de design et à sa carrière de peintre, il a épousé une passion qui le transporte à l’intérieur d’un monde où les pixels s’harmonisent avec le concret.
Amateur de jeux vidéo, il confie être inspiré par les décors post-apocalyptiques que lui suggère cette dimension fictive.
Avec l’avènement des technologies informatiques et les possibilités infinies qu’elles offrent, l’artiste saguenéen estime qu’il n’existe plus de limites à la création. Aussi a-t-il amorcé un projet qu’il a baptisé Entre deux mondes, dans lequel il a intégré des informaticiens.
« C’est tout un Nouveau Monde à explorer. Je m’amuse beaucoup. Nous générons des programmes qui font des mélanges d’objets et de substances. Dans le virtuel, c’est l’infini. »
Un premier tableau de réalité augmentée a été créé à travers cette démarche. Un tableau qui nous propose un monde aléatoire géré par la machine. Un tableau qui a coûté cher à produire, mais qui pave la voie à une nouvelle épopée pour Pierre Routhier.
« Je m’en suis payé un, dit-il. Les prochains coûteront moins cher, sans doute. Un jour, j’en aurai peut-être assez pour les exposer. »
À l’ère de la tablette, des téléphones intelligents et des lunettes de réalité virtuelle, il est dorénavant possible de voir les œuvres danser dans un univers éclaté et libre de tout paradigme. Le tableau se dématérialise; il libère des personnages et des lieux qui interagissent dans l’espace. Un tunnel se dessine entre la toile et celui qui l’admire, invitant ainsi ce dernier dans les fantasmes d’un artiste qui s’est épanoui au-delà du réel.
« Imagine dans une galerie; imagine dans un salon. Imagine jusqu’où on peut aller avec ça. Mais ça coûte très cher. Ça prend toute une équipe de programmeurs. Moi, je dessine dans cet univers. Je crée les personnages, les esquisses, les décors dans une machine 3D, mais eux, ils doivent tout faire pour que ça communique avec une tablette, par exemple », explique Pierre Routhier.
Des œuvres d’art en aluminium créés autant pour la maison que pour le commerce.
Rêve et conscience environnementale
Pierre Routhier est comme tous les designers. Son rêve ultime est de s’exprimer à l’intérieur d’une œuvre unique, qui s’invitera dans la majorité des foyers.
« C’est une utopie, sans doute, mais j’aimerais créer un objet à grande série qui sera presque parfait, qui combinera l’écologie et le design. J’aimerais créer une pièce qui va marquer le temps. »
Il rappelle, en ce sens, que le monde a évolué et que de nouveaux besoins sont apparus avec le temps. Puis, il ajoute que, désormais, les valeurs environnementales sont indissociables de la conception des objets, une tendance qui s’inscrit pleinement dans ses passions.
« Avant, il y avait beaucoup d’anodisation dans mes œuvres. Maintenant, j’évite ça parce que ça laisse une empreinte. On ne peut pas ignorer ce qui se passe avec les changements climatiques. Je cherche à utiliser les matériaux les plus naturels possible. L’aluminium a des avantages que peu de métaux offrent et, surtout, il est recyclable. »
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Article originale publié dans le magazine AL13, volume 25, numéro 2, décembre2019